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CHAPITRE VIII

LA JUSTICE FAIT FAILLITE À L’EXTÉRIEUR (1870)


« Il y a une heure où vous avez dû entendre une voix qui criait : Vare, redde legiones ! Rendez-nous nos légions ! Rendez-nous la gloire de nos pères Rendez-nous nos provinces ! Et cette responsabilité, est-ce la seule ? Nous avez-vous seulement légué des embarras, des douleurs et des désastres ? Non, vous avez fait pire encore. Vous nous avez légué la démoralisation. »
Le Duc D’Audiffret-Pasquier,
22 mai 1872.


QUELQUES jours avant la dépêche d’Ems, le voile du temple s’était déchiré. À ce qui lui arrivait, la nation française n’avait compris qu’une chose, mais elle l’avait bien comprise : c’est qu’elle retrouvait son vieil ennemi, son ennemi héréditaire. Devant elle, sous les espèces de la Prusse, reparaissait l’Allemagne de jadis, l’Allemagne de toujours, l’Allemagne des luttes séculaires, qui nous avait abominablement trompés en se servant, pour renaître, des idées dont la France avait le culte : l’idée de nationalité et l’idée de liberté.

Que s’était-il donc passé entre 1866 et 1870 ? Ceci que l’Allemagne s’était convertie à la politique de Bismarck. Si elle voulait l’unité, c’était clair et l’expérience était concluante : elle ne l’aurait pas par ses libéraux et ses démocrates qui, pourtant, l’avaient conçue les premiers. Il fallait adopter les méthodes bismarckiennes. Il fallait renoncer au libéralisme et à la démocratie et recourir à la force, à la guerre, à l’autorité. « Les grandes questions du temps ne seront pas décidées par des discours et des décisions de majorité, — ce fut la grande faute de