Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/273

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Accusation mortelle. Lorsque Gambetta eut nommé le général de Miribel (un réactionnaire avéré, par surcroît) chef d’état-major général, quand il se mit à s’occuper ostensiblement de l’armée et de réformes militaires, l’inquiétude, attisée par ses adversaires, s’accrut. Gambetta semblait belliqueux et, comme en 1870, comme au temps de la Défense nationale, il effrayait. Deux mois après sa naissance, son ministère était renversé. Le seul soupçon qu’il pût conduire à la guerre avait suffi. La carrière de Gambetta était terminée. La guerre ! Le péril extérieur ! L’arme électorale qu’il avait si bien maniée contre les conservateurs, cinq ans plus tôt, se retournait contre lui. Donc, il y avait ceci d’étrange et qui semblait rendre la République presque ingouvernable : deux courants d’opinion également forts se heurtaient. Une politique qui renonçait ouvertement à tout espoir de revanche et nous rapprochait de l’Allemagne soulevait les colères du patriotisme. Une politique qui, même par de prudents détours, ramenait la France aux souvenirs de 1870, faisait penser qu’elle provoquerait la guerre, et alors une autre vaste portion du pays s’alarmait.

Les hommes qui dirigeaient la République ne se rendaient pas compte de ce dualisme, ou bien ils persistaient à croire que le parti du renoncement et de l’oubli était le plus fort et que la diversion coloniale était la meilleure méthode à suivre, tant à l’égard de l’Allemagne qu’à l’égard du peuple français. Toujours est-il qu’après Gambetta, Jules Grévy en revint bientôt à Ferry, et Ferry aux expéditions lointaines. Cette fois, ce n’était plus la Tunisie, c’était le Tonkin. Tout ce qui, en France, sentait d’instinct que ces expéditions répondaient à une idée préconçue et inavouée, suivait avec inquiétude ce qui apparaissait comme une déperdition de nos forces. Certes, ce n’était pas une brillante politique, celle qui ne nous avait fait renoncer à l’Égypte, après l’Alsace, que pour nous mettre en conflit avec l’Angleterre sur d’autres points du monde. Et voilà que, moins de quinze ans après le traité de Francfort, nous étions en guerre avec qui ? Avec la Chine ! Absurdité prodigieuse. Quand la nouvelle du désastre de Lang-Son