Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/288

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même, il y avait quelque chose d’indestructible. La France avait tout à refaire pour sauver son indépendance et sa nationalité, pour réparer cent ans d’erreurs. Devant l’énorme tâche, elle n’a pas reculé un instant.

Nos anciens combattants de 1870 qui, depuis peu, portaient le ruban vert du souvenir, commençaient à se clairsemer, lorsqu’une nouvelle génération de Français s’est trouvée face à face avec une nouvelle génération d’Allemands. Était-ce toujours la même Allemagne ? Non, elle était pire.

Et d’abord les Français ne voulaient pas croire qu’un peuple entier fût capable d’un tel forfait, d’une agression si perfidement calculée. Ces Allemands, c’étaient des hommes comme les autres. Eux aussi, ils étaient mobilisés jusqu’aux limites de l’âge mûr et ils avaient des femmes, des enfants, un foyer. C’était leur vie qu’ils exposaient. Et ils auraient voulu cela ? Allons donc ! Ils n’avaient pas leur libre arbitre. Ils étaient gouvernés par un empereur et par une caste militaire qui les envoyaient à la boucherie. Mais ils ne tarderaient pas à secouer ce joug, à se révolter. N’y avait-il pas des millions de socialistes en Allemagne ? Leurs députés ne rencontraient-ils pas les nôtres dans des Congrès ? Scheldemann, en 1912, à la fête du Pré-Saint-Gervais, n’était-il pas venu affirmer la fraternité de l’Internationale ? Cette guerre allemande était une « guerre d’officiers ». Mais il y avait deux Allemagnes, et la seconde, la vraie, la bonne, ne tarderait pas à se révéler…

Jadis, en effet, il y avait eu non pas deux Allemagnes, mais trois. Auprès de la Prusse, colonie militaire en marge des pays germaniques, il y avait une Allemagne réactionnaire et particulariste qui somnolait, une Allemagne libérale et unitaire qui rêvait. Cette pâte avait levé par le ferment prussien. Alors il n’y avait plus eu qu’une seule Allemagne, inspirée par la plus puissante des idées du siècle, l’idée de nationalité, qui peu à peu, avait absorbé toutes les autres. Ils avaient disparu ces libéraux, ces révolutionnaires qui, en 1871, au nom du droit des peuples, avaient protesté contre l’annexion de l’Alsace-Lorraine au risque de la prison. Ils avaient disparu, ces catho-