Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/33

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couronne impériale était restée élective. Barberousse et ses successeurs, qui représentaient l’idée allemande aux douzième et treizième siècles comme les Hohenzollern l’ont représentée de nos jours, avaient entrepris de fonder l’unité de tous les pays allemands pour étendre ensuite leur domination à l’Europe. Le premier point de ce programme consistait à consolider le pouvoir impérial. Privés du bénéfice de l’hérédité, usufruitiers d’une couronne élective qui, à chaque changement de règne, remettait toutes choses en question, les Hohenstaufen ne croyaient pas à l’accomplissement de leurs vastes projets. La transmission directe et par héritage de la couronne leur était apparue comme la condition même de la puissance politique.

Cependant la monarchie capétienne, dont les modestes débuts n’avaient éveillé la jalousie ni l’attention de personne, était déjà parvenue à s’affranchir de l’élection. Dès la cinquième génération, les successeurs de Hugues Capet avaient réussi à prendre cet avantage. Aussi, se sentant bien en selle, ils tournaient les yeux vers la Flandre, vers la Lorraine, vers toutes ces terres d’Empire qu’ils considéraient avec raison comme terres françaises. En même temps un instinct sûr avertissait les Capétiens que, si les rois d’Allemagne devenaient aussi indépendants qu’eux-mêmes, s’il arrivait que le Hohenstaufen entrât en possession de ce privilège du droit héréditaire qui faisait leur propre force, la jeune France serait menacée d’un péril grave, l’avenir de la dynastie créée par Hugues se trouverait peut-être à jamais compromis.

C’était un premier intérêt que lésait dans la personne des rois de France l’ambition des Hohenstaufen. Servis par une force qui n’était plus négligeable, appuyés sur une nation qui tous les jours prenait mieux conscience d’elle-même, les Capétiens étaient déjà de taille à opposer des difficultés sérieuses au projet de leurs rivaux allemands. Mais il y avait ailleurs, en Europe, une puissance qui, elle aussi, se sentait atteinte par l’ambition des héritiers de Charlemagne. Le pape ne pouvait admettre que l’Empereur, son associé dans le gouvernement du monde, s’affranchît du pacte commun. La première « moitié de Dieu » redoutait vivement que la seconde pût la réduire en esclavage, rompît l’équilibre du spirituel et du temporel. Le pouvoir impérial était soumis à la double servitude de l’élection