Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/343

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de l’Église, et le pape Innocent III, adversaire de l’Empire germanique, était son meilleur allié européen : le pacte conclu jadis avec la papauté par Pépin et Charlemagne continuait d’être bienfaisant. Philippe Auguste en appela aussi à d’autres sentiments. On forcerait à peine les mots en disant qu’il convoqua ses Français à la lutte contre l’autocratie et contre la réaction féodale, complice de l’étranger. Il y a plus qu’une indication dans les paroles que lui prête la légende au moment où s’engagea la bataille de Bouvines : « Je porte la couronne, mais je suis un homme comme vous. » Et encore : « Tous vous devez être rois et vous l’êtes par le fait, car sans vous je ne puis gouverner. » Les milices avaient suivi d’enthousiasme et, après la victoire qui délivrait la France, ce fut de l’allégresse à travers le pays. Qui oserait assigner une date à la naissance du sentiment national ?

Ce règne s’acheva dans la prospérité. Philippe Auguste aimait l’ordre, l’économie, la bonne administration. Il se contenta de briser le royaume anglo-normand et d’ajouter au territoire les provinces de l’Ouest, de restituer la Normandie à la France. Il se garda d’aller trop vite et, après Bouvines, d’abuser de la victoire. Son fils, Louis VIII, s’était lancé à la conquête de l’Angleterre. Philippe Auguste le laissa partir sans s’associer à l’aventure qui, bien commencée, devait finir mal. Il préférait organiser ses domaines avec prudence, avec méthode, imposant l’autorité royale, développant par les baillis un ordre administratif jusqu’alors embryonnaire, créant des finances, enfin dotant l’État de ses organes principaux. La société du Moyen Âge, qui allait s’épanouir avec saint Louis, est déjà formée sous Philippe Auguste. Quelques-uns des caractères qui distingueront l’État français jusqu’à nos jours et qui étaient en germe sous les premiers Capétiens s’accusent aussi. Déjà cet allié de l’Église n’aime pas plus la théocratie que la féodalité. S’il trouve fort bon que le pape fasse et défasse des empereurs en Allemagne, il ne souffre pas d’atteintes à l’indépendance de sa couronne. À l’intérieur, il se défend contre ce que nous appellerions les empiétements du clergé. Il y a déjà chez le grand-père de saint Louis quelque chose qui annonce Philippe le Bel.

Ce qu’on rattache d’ordinaire le plus mal à ce grand règne, c’est la croisade contre les Albigeois. Qu’était l’hérésie albi-