Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/374

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et d’arracher définitivement la Flandre à l’influence anglaise en la rapprochant de la France par l’intermédiaire bourguignon. Dans cette idée, le duc Philippe avait épousé l’héritière du comté de Flandre et, pour faciliter ce mariage, Charles V avait consenti à rendre aux Flamands les conquêtes de Philippe le Bel, Lille, Douai et Orchies. Il comptait bien que cette Flandre française, suivie de l’autre, retournerait un jour au royaume, et, en attendant, le duché de Flandre-Bourgogne envelopperait Calais, pousserait notre influence vers l’Allemagne et les Pays-Bas. Ce plan semblait irréprochable. Pourtant il advint dans la suite le contraire de ce qu’avait calculé la sagesse de Charles V. Loin d’assimiler la Flandre, la Bourgogne fut aspirée par elle. Cette Flandre, elle était plus que réfractaire : elle conquérait qui croyait l’avoir conquise. Ainsi la maison de Bourgogne, par ses possessions flamandes, s’écartera de plus en plus de la France. Elle en deviendra une des pires ennemies avec Jean sans Peur et le Téméraire.

Dans ce triste quatorzième siècle, plein de fureurs et de folies, le règne de Charles V est une oasis de raison. Partout ailleurs, démences et révoltes. Charles VI, Richard II et leurs oncles sont bien de la même époque, comme en sont Artevelde, Étienne Marcel et Rienzi. De respect pour l’autorité, il n’y en a guère. L’Angleterre donne l’exemple des détrônements et du régicide, des sujets de tragédie pour Shakespeare. De tous les pouvoirs, le plus haut, le pouvoir spirituel, celui de la papauté, n’existe pour ainsi dire plus. Il y a un schisme dans l’Église, deux papes en guerre, l’un à Rome, l’autre à Avignon. On dispute quel est le vrai. Ni l’un ni l’autre n’est vénéré. À la mort de Charles V, la France était bien près de retomber dans les agitations. Il y avait de fâcheux symptômes en Bretagne, en Flandre. C’est dans ces conditions que les périls d’une minorité allaient encore être courus.

À peine le sage roi eut-il disparu que les oncles de Charles VI se querellèrent pour la régence. Mauvais début. Dangereux spectacle. Il fallut l’arbitrage d’une assemblée de dignitaires et de membres du Parlement qui donnèrent la tutelle aux quatre ducs, ceux d’Anjou, de Berry, de Bourgogne et de Bourbon. Combinaison détestable : dans cette république de princes, le duc d’Anjou ne songeait qu’à son héritage de Naples, le duc