Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/492

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chanta contre le roi et sa famille des chansons presque révolutionnaires. Un jour, des femmes de Paris se mirent en marche sur Versailles pour réclamer du pain. La troupe dut les arrêter.

Il y eut aussi d’honnêtes gens et de « beaux esprits chimériques » pour exposer des plans de réformes. La mort du jeune duc de Bourgogne avait dispersé un petit groupe, qu’inspiraient Fénelon, Saint-Simon, Boulainvilliers. On y formait des plans de retour à un passé imaginaire, une sorte de roman politique que traduit en partie le Télémaque. On y rêvait, contre l’expérience de notre histoire, d’une harmonie délicieuse entre la royauté patriarcale et des états généraux périodiques où la noblesse aurait retrouvé un grand rôle. Ce mouvement « néo-féodal » ou de « réaction aristocratique » n’est pas négligeable parce qu’il reparaîtra sous la Régence, se confondra avec la théorie des « corps intermédiaires » de Montesquieu, se perpétuera dans la famille royale jusqu’à Louis XVI, qui aura été nourri de ces idées.

En même temps, Vauban recommandait la « dîme royale », c’est-à-dire un impôt de dix pour cent sur tous les revenus, sans exemption pour personne. Son système d’un impôt unique, si souvent repris, était enfantin, mais la forme seule de son livre fut condamnée. Dès 1695, Louis XIV avait créé la capitation qui frappait tous les Français sauf le roi et les tout petits contribuables, mais qui rencontra une vaste opposition, tant elle heurtait les habitudes et les intérêts. En 1710, fut institué l’impôt du dixième qui ressemblait fort à la « dîme » de Vauban, et dont se rachetèrent aussitôt à qui mieux mieux, par abonnement ou d’un seul coup, par forfait ou « don gratuit », tous ceux qui le purent, tant était grande, l’horreur des impôts réguliers. Telle avait déjà été l’origine de bien des privilèges fiscaux. Car ce serait une erreur de croire que les privilégiés, sous l’ancien régime, fussent seulement les nobles et le clergé, qui avaient d’ailleurs des charges, celui-ci l’assistance publique et les frais du culte, ceux-là le service militaire. Les privilégiés c’étaient aussi les bourgeois qui avaient acquis des offices, les habitants des villes franches ou de certaines provinces, en général nouvellement réunies, qui possédaient leur statut, leurs états, leurs libertés et qu’on tenait à ménager spécialement. De ces droits, de ces privilèges, les Parlements, « corps intermédiaires »,