Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/570

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et encourageaient les soldats mutins. On proclamait à la fois le désintéressement de la France et le droit naturel de réunir à la nation les populations affranchies. Lorsque le Comtat et Avignon, terres du Pape, s’étaient soulevés, la Constituante avait hésité à les accueillir, parce que les annexions et les conquêtes étaient contraires à ses principes. Ces scrupules furent vaincus par des hommes de gauche qui demandèrent si la Révolution refuserait d’achever la France et si elle serait plus timide que la monarchie. Cette idée, la vieille idée des frontières naturelles, de l’achèvement du territoire, continuait de travailler et d’exciter les Français. Ainsi, pour les jeter dans la guerre, bien des portes étaient ouvertes aux ambitieux de la Gironde. Mais ce furent les Jacobins qui passèrent : la Gironde n’eût rien fait sans leur concours et elle acheva de leur livrer la Révolution.

Dès le début de la Législative, réunie le 1er octobre 1791, les Girondins s’étaient prononcés pour une politique belliqueuse. Robespierre, qui n’appartenait pas à la nouvelle Assemblée, restait tout-puissant au grand club. Il fut d’abord opposé à la guerre, se moqua, non sans justesse, des illusions de Brissot, suivant l’esprit de la Constituante qui craignait le militarisme et les dictateurs militaires. Il s’y rallia lorsqu’il eut compris le parti qu’on pouvait en tirer contre la monarchie, l’élan nouveau que la Révolution allait en recevoir. Cosmopolite et humanitaire, le jacobinisme, moyennant quelques précautions oratoires, devenait guerrier : il suffisait de dire qu’on ne combattrait que la tyrannie.

Toutes les mesures auxquelles Brissot et ses amis poussaient l’Assemblée avaient pour objet de mettre Louis XVI en désaccord avec elle et de conduire à un conflit avec la royauté : menaces contre les émigrés, même et surtout contre les frères du roi, pénalités pour les prêtres qui refusaient le serment. Attaqué dans sa famille et dans ses sentiments religieux, le roi était provoqué plus gravement dans ce qui ne mettait pas en cause l’homme mais le gardien des grands intérêts de la France au dehors. Par tous les moyens, on cherchait à le placer dans une situation intenable, à l’enferrer sur son propre rôle de souverain constitutionnel. C’est à quoi la Gironde, sans s’apercevoir qu’elle travaillait pour les Jacobins