Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/581

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mina les politiques et les financiers à approuver l’occupation et l’exploitation de la Belgique, sous des prétextes tirés de la philosophie révolutionnaire, malgré le risque d’une intervention anglaise que l’on essaierait de détourner, tandis que Custine passait le Rhin. D’abord bien reçu par les populations rhénanes, depuis longtemps francisées, Custine les souleva contre nous, dès qu’il eut frappé d’une grosse contribution la ville de Francfort d’où il fut bientôt chassé par les Prussiens. Depuis notre victoire de Jemmapes (6 novembre 1792), l’Angleterre était d’ailleurs résolue à la guerre plutôt que de laisser les Français en Belgique. L’exécution de Louis XVI ne fut que l’occasion d’un conflit devenu inévitable : les Anglais se seraient peu souciés de l’exécution de Louis XVI si, le 21 janvier, nous n’eussions déjà occupé Anvers.

Alors commença la guerre véritable, celle de l’Angleterre et de la France, l’éternelle guerre pour les Pays-Bas, la même sous la Révolution que sous Philippe le Bel, la vieille guerre pour la suprématie maritime de la Grande-Bretagne, la même que sous Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Il ne s’agissait plus d’une guerre continentale avec des adversaires comme la Prusse et l’Autriche, sur lesquelles la France pouvait encore remporter des succès. La coalition retrouvait sa tête et sa caisse. Et, cette fois, l’Angleterre mènerait la lutte jusqu’au bout, d’autant plus résolue à liquider son vieux compte avec la France qu’elle la voyait privée de ses forces navales par la Révolution puis rendue incapable de les reconstituer par sa détresse financière. La Révolution, et ce fut une de ses fautes les moins visibles et les plus choquantes, se mit en conflit avec la plus grande puissance maritime du monde sans avoir elle-même d’escadres et sans espoir d’en retrouver. Car une marine, instrument de précision, ne s’improvise pas, la nôtre était ruinée par l’anarchie et, comme disait Villaret-Joyeuse, « le patriotisme ne suffit pas à diriger les vaisseaux ». Profitant de cette situation unique, l’Angleterre n’abandonnerait plus la partie qu’elle ne l’eût gagnée. Lente comme toujours à entrer en pleine action, longue à se décider et à se préparer, par la nature de son gouvernement parlementaire, elle étendit elle-même la durée et la gravité de cette guerre, parce qu’elle n’y jeta que peu à peu toutes ses ressources tandis que la