Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/629

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finesse, qui avait vu beaucoup de choses, se rendit compte des circonstances dans lesquelles il rentrait. Il avait à ménager son autorité et il n’eût pas été prudent de commencer son règne en humiliant le principe dont il tirait sa force. Il avait aussi des satisfactions à donner aux idées du temps. Le Sénat, en l’appelant au trône, avait établi des conditions, fixé des garanties pour les personnes et pour les biens, tracé un programme de gouvernement constitutionnel. Sauf un point, Louis XVIII accepta tout. Deux Chambres, comme en Angleterre, c’était le système qui semblait le meilleur et même le plus commode pour une monarchie. L’égalité civile n’avait rien non plus pour déplaire à un roi de France ; le frère de Louis XVI savait combien la résistance des privilégiés, en arrêtant les réformes, avait été funeste à l’ancien régime. La garantie des propriétés, des rentes, des pensions allait de soi : pour régner sur la France il fallait la prendre telle qu’elle était. Il n’y eût qu’une chose que Louis XVIII n’accepta pas : c’était le caractère conditionnel de cette constitution. D’une Charte imposée, qui l’eût diminué, qui eût soumis son pouvoir à toutes sortes d’exigences et de capitulations successives, comme il était arrivé à Louis XVI, il fit une Charte accordée, « octroyée ». Ainsi le principe monarchique était sauf, ou bien ce n’était pas la peine de restaurer la monarchie, et la transition était assurée entre la monarchie « absolue » et la monarchie « constitutionnelle ». Louis XVIII y gagnait de s’être fait respecter des nouveaux Constituants comme il se faisait respecter des souverains ennemis. « On aurait dit, remarquait Alexandre, que c’était lui qui venait de me replacer sur le trône. »

La monarchie avec la Charte était donc la combinaison la plus favorable, la plus naturelle aussi que l’on pût trouver. Elle conciliait le passé et le présent, l’ordre et la liberté. Mais, avant tout, sans les Bourbons, la France était vouée, comme le disait Talleyrand, à l’asservissement ou au partage. L’étranger vainqueur était sur notre sol, il restait à conclure la paix et ce n’était pas le moins difficile. La monarchie était bien innocente du désastre. Ce qui avait porté le dernier coup à Louis XVI, c’était son opposition à la guerre de 1792, la guerre qui venait seulement de se terminer par l’entrée des Alliés à Paris. La monarchie avait pour tâche de liquider cette longue