Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/706

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D’une part, il y avait conflit entre ceux qui acceptaient la défaite de 1870 et ceux qui n’abandonnaient pas l’espoir d’en effacer les effets, entre ceux qui, publiquement ou dans le secret de leur pensée, croyaient, comme Thiers, que la France n’avait plus qu’à s’entendre avec une Allemagne toute-puissante et à se contenter en Europe d’un rôle de second ordre (déchéance à laquelle l’expansion coloniale remédierait) et ceux qui, ne s’inclinant pas devant le fait accompli, jugeaient que la politique de la France devait être continentale, que le danger de l’invasion, révélé une première fois en 1875, existait toujours, et qu’à l’Empire allemand, fortifié par ses alliances avec l’Autriche et l’Italie (la Triplice), il fallait opposer une armée solide et des alliances s’il se pouvait. D’autre part, la nature des choses ramenait toujours une fraction des républicains vers des idées de modération, les inclinait à se réconcilier avec leurs adversaires de droite et à ménager les instincts conservateurs du pays, tandis que les républicains avancés rejetaient ces compromissions. Agitations de la rue, chutes de ministères, élections, toute l’histoire intérieure de la troisième République a été conduite par ces courants qui l’emportaient tour à tour.

L’expédition du Tonkin, succédant à celle de Tunisie, fut l’origine d’une longue crise. Cette nouvelle entreprise coloniale, où s’était engagé Jules Ferry, pour la seconde fois président du conseil, était impopulaire. Elle était combattue par les radicaux chez qui subsistait la tradition du jacobinisme patriote : Clemenceau, leur chef, avait voté contre le traité de Francfort. En même temps, ils attaquaient la Constitution de 1875, lui reprochaient son caractère et ses origines orléanistes et ils en demandaient la révision. Ils prirent l’offensive en mars 1885, lorsque la nouvelle du désastre de Lang-Son arriva. Jules Ferry, que Clemenceau avait déjà accusé de « compromettre les intérêts de la France et de la République », fut renversé. Des scènes tumultueuses eurent lieu dans Paris contre « le Tonkinois », dont la politique coloniale, selon un autre mot de Clemenceau, faisait de la France « l’obligée de l’Allemagne ». Un esprit d’opposition d’une nature nouvelle naissait dans Paris et préparait les éléments du boulangisme. En même temps, le malaise et l’inquiétude se répandaient dans