Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/81

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ceux que les naturalistes observent dans le règne animal. On voit ainsi les guêpes imiter stérilement les abeilles et s’obstiner à former des alvéoles où elles ne déposent plus aucun miel. De même, obéissant à une impulsion irraisonnée, l’opinion française, où les militaires comme Belle-Isle et les « philosophes » marchaient confondus, força la main au gouvernement dans l’affaire de la succession d’Autriche.

Pourtant l’entrée en scène de la Prusse avait eu un caractère propre à faire réfléchir les plus étourdis. Le rapt de la Silésie marquait vraiment le début d’une ère nouvelle pour l’Europe et dans les relations des États. Il est plaisant de voir, à l’heure où nous sommes, les héritiers de la philosophie du dix-huitième siècle protester contre l’invasion de la Belgique au nom de la justice, alors que l’ancêtre de Guillaume II, s’emparant de la Silésie, rècueillit les applaudissements des « philosophes ». La théorie des traités considérés comme des « chiffons de papier », avant d’être blâmée chez Bismarck et chez M. de Bethmann-Hollweg, n’indignait ni Voltaire ni d’Alembert, ni aucun des partisans du « droit naturel », quand elle était exposée et mise en pratique par Frédéric II, idole des esprits libéraux. Mais quoi ! le droit que violait Frédéric n’était pas un droit de nature. C’était le statut de la société des nations, c’était la loi sur laquelle vivait le monde européen, c’était un progrès obtenu par les armes mises au service de la raison, c’était l’ensemble des conventions qui, telles quelles, rendaient l’Europe à peu près habitable, assuraient à la France une place privilégiée, épargnaient à ses habitants le fléau des invasions et son corollaire, le fléau de la paix armée. L’apparition de la politique prussienne annonçait pour l’Europe et la civilisation les maux les plus terribles, les menaçait d’une rechute dans la barbarie. 1740, 1870, 1914 apparaîtront certainement aux historiens futurs dans leur connexité, dans leur rapport étroit. Nos rois, nos diplomates l’avaient compris. Il est humiliant pour l’opinion publique du peuple le plus spirituel de la terre qu’elle n’en ait pas eu même un pressentiment.

La protestation de Marie-Thérèse contre le rapt de la Silésie était pourtant éloquente. Elle ressemblait singulièrement à celle du roi des Belges demandant secours contre Guillaume II. La reine appelait toutes les puissances, et en premier lieu celle