Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/59

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familles ouvrières qui n’atteignent pas en ressources le minimum nécessaire pour avoir accès aux H.L.M.[1]

Être réaliste donc, c’est, tout en jouant l’école, savoir pertinemment que les enfants ne feront pas d’études supérieures. L’université, c’est pour les riches. Ça, on sait. Si bien qu’aller à l’école ne signifie pas « faire des études » mais suivre le rituel qui, magiquement, devrait permettre au miracle de se produire.

Ce qu’on appelle le « taux de mortalité scolaire » s’explique autant par nos conduites irrationnelles vis-à-vis de l’école que par l’implacable logique-de-la-production. Je ne crois pas nécessaire d’insister sur le fait que toute raison d’État repose exclusivement sur notre déraison et tu imagines aisément que l’élimination de 84 % des élèves de l’enseignement supérieur (mais oui ! qu’est-ce que tu croyais, fillette ? Aujourd’hui 28% seulement, dans une génération donnée, obtiennent le bac et 16 % font des études supérieures[2]) s’opère dans un consensus obtenu par tous les moyens, dont l’hypnose.

Quand les statisticiens parlent de « chances objectives, de probabilités d’accès à l’université », tu te doutes bien qu’ils ne comptent pas sur les journaux pour dire aussi crûment la vérité bien crue : « Si vous êtes salarié agricole, vous avez 0,7 % de chances de voir entrer votre rejeton en faculté ; si vous êtes cadre supérieur, vous en avez 58,5 % (sans compter que pour les 41,5 % qui restent, on ne se fait pas trop de soucis). » Mais, madame, croyez bien que les enfants des paysans préfèrent de loin la nature aux études ; s’ils restent aux champs, c’est parce que les livres ne les intéressent pas… La vraie vie… les petits oiseaux… tout ça…

Pardi !

Quand le ministère de l’Éducation nationale lui-même publie en 1981 un document qui t’annonce :

« 95,1 % des enfants de cadres supérieurs, admis en sixième en 1972, 1973 ou 1974, ont terminé le premier cycle d’enseignement secondaire et 85,5 % ont accédé à une classe du second cycle long. Ces taux sont respectivement de 53,4 % et 26,9 % pour les enfants d’ouvriers et 43,7 % et 18,7 % pour les enfants de salariés agricoles[3] ». La réaction la

  1. Chiffres de 1975, mais ça m’étonnerait que ça ne se soit pas aggravé. (Source : Confédération syndicale du cadre de vie).
  2. Document 21, commission du travail no 2, préparation au neuvième plan, ministère de l’Éducation nationale.
  3. « L’entrée dans le second cycle long des élèves admis en sixième en 1972, 1973 et