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|216 somme des libertés et des prospérités individuelles.

La science sait tout cela, mais elle ne va pas, elle ne peut aller au delà. L’abstraction constituant sa propre nature, elle peut bien concevoir le principe de l’individualité réelle et vivante, mais elle ne peut rien avoir à faire avec les individus réels et vivants. Elle s’occupe des individus en général, mais non de Pierre et de Jacques, non de tel ou de tel autre individu, qui n’existent point, qui ne peuvent exister pour elle. Ses individus à elle ne sont, encore une fois, que des abstractions.

Pourtant, ce ne sont pas ces individualités abstraites, ce sont les individus réels, vivants, passagers, qui font l’histoire. Les abstractions n’ont point de jambes pour marcher, elles ne marchent que lorsqu’elles sont portées par des hommes réels. Pour ces êtres réels, composés, non en idée seulement, mais réellement de chair et de sang, la science n’a pas de cœur. Elle les considère tout au plus comme de la chair à développement intellectuel et social. Que lui font les conditions particulières et le sort fortuit de Pierre et de Jacques ? Elle se rendrait ridicule, elle abdiquerait et s’annihilerait, si elle voulait s’en occuper autrement que comme d’un exemple à l’appui de ses théories éternelles. Et il serait ridicule de lui en vouloir pour cela, car ce n’est pas là sa mission. Elle ne peut saisir le concret ; elle ne peut se mouvoir que dans les abstractions. Sa mission, c’est de s’occuper de la situation et des condi-