Page:Bakounine - Œuvres t3.djvu/142

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mais comme le néant ; le produit de la faculté abstraite de l’homme, la dernière, la suprême abstraction, dans laquelle cette faculté, ayant dépassé toutes les choses existantes et jusqu’aux déterminations les plus générales de l’Être réel, telles que les idées de l’espace et du temps, n’ayant plus rien à dépasser, se repose dans la contemplation de son vide et de son immobilité absolue (voyez l’Appendice) ; cette abstraction, ce caput mortuum[1] absolument vide de tout contenu, le vrai néant, Dieu, est proclamé le seul être réel, éternel, tout-puissant. Le Tout réel est déclaré nul, et le nul absolu, le Tout. L’ombre devient le corps, et le corps s’évanouit comme une ombre[2].

C’était d’une audace et d’une absurdité inouïes, le vrai scandale de la foi, le triomphe de la sottise croyante sur l’esprit, pour les masses ; et pour quelques-uns, l’ironie triomphante d’un esprit fatigué, corrompu, désillusionné et dégoûté de la recherche honnête et sérieuse de la vérité ; le besoin de s’étourdir et de s’abrutir, besoin qui se rencontre souvent chez les esprits blasés :

  1. Caput mortuum équivaut à « résidu ». — J. G.
  2. Je sais fort bien que dans les systèmes théologiques et métaphysiques orientaux, et surtout dans ceux de l’Inde, y compris le bouddhisme, on trouve déjà le principe de l’anéantissement du monde réel au profit de l’idéal ou de l’abstraction absolue. Mais il n’y porte pas encore ce caractère de négation volontaire et réfléchie qui distingue le christianisme ; parce que, lorsque ces systèmes furent conçus, le monde proprement humain, le monde de l’esprit humain, de la volonté humaine, de la science et de la liberté humaines, ne s’était pas encore développé comme il s’est manifesté depuis dans la civilisation gréco-romaine. (Note de Bakounine.)