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L’HOMME DE COUR

bourreau la réalité qui la détrompe. C’est donc à la prudence à corriger de tels égarements ; et bien qu’il soit permis de désirer le meilleur, il faut toujours s’attendre au pire pour prendre en patience tout ce qui arrivera. C’est adresse que de viser un peu plus haut pour mieux adresser son coup ; mais il ne faut pas tirer si haut que l’on vienne à faillir dès le premier coup. Cette réformation de son imagination est nécessaire, car la présomption sans l’expérience ne fait que radoter. Il n’y a point de remède plus universel contre toutes les impertinences que le bon entendement Que chacun connaisse la sphère de son activité et de son état ; ce sera le moyen de régler l’opinion Je soi-même sur la réalité.

CXCV

Savoir estimer.

Il n’y a personne qui ne puisse être le maître d’un autre en quelque chose. Celui qui excède trouve toujours quelqu’un qui l’excède. Savoir cueillir ce qu’il y a de bon dans chaque homme, c’est un utile savoir. Le sage estime tout le monde, parce qu’il sait ce que chacun a de bon, et ce que les choses coûtent à les faire bien. Le fou n’estime personne, d’autant qu’il ignore ce qui est bon, et que son choix va toujours au pire.