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L’HOMME DE COUR

tôt pour le plaisir d’entendre ses lardons, que par aucune estime qu’ils fassent de lui. Celui qui dit du mal s’en fait toujours dire encore davantage.

CCXXIX

Savoir partager sa vie en homme d’esprit.

Non pas selon que se présentent les occasions, mais par prévoyance, et par choix. Une vie qui n’a point de relâche est pénible comme une longue route où l’on ne trouve point d’hôtelleries ; une variété bien entendue la rend heureuse. La première pose doit se passer à parler avec les morts. Nous naissons pour savoir, et pour nous savoir nous-mêmes, et c’est par les livres que nous l’apprenons au vrai, et que nous devenons des hommes faits. La seconde station se doit destiner aux vivants ; c’est-à-dire qu’il faut voir ce qu’il y a de meilleur dans le monde, et en tenir registre. Tout ne se trouve pas dans un même lieu. Le Père universel a partagé ses dons, et quelquefois il s’est plu à en faire largesse au pays le plus misérable. La troisième pose doit être toute pour nous. Le suprême bonheur est de philosopher.

CCXXX

Ouvrir les yeux quand il est temps.

Tous ceux qui voient n’ont pas les yeux ouverts ; ni tous ceux qui regardent ne voient pas. De réfléchir trop tard, ce n’est pas un