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L’HOMME DE COUR

L’homme prudent ne doit pas faire semblant de s’apercevoir du soupçon d’autrui, parce que c’est aller chercher son ressentiment ; il faut seulement tâcher de guérir ce soupçon par un procédé honnête et sincère.

CCXLVII

Savoir un peu plus, et vivre un peu moins.

D’autres, au contraire, disent qu’un loisir honnête vaut mieux que beaucoup d’affaires. Nous n’avons rien à nous que le temps, dont jouissent ceux mêmes qui n’ont point de demeure. C’est un malheur égal d’employer le précieux temps de la vie en des exercices mécaniques, ou dans l’embarras des grandes affaires. Il ne se faut charger ni d’occupations, ni d’envie ; c’est vivre en foule et s’étouffer. Quelques-uns étendent même ce précepte jusqu’à la science. Ce n’est pas vivre que de ne pas savoir.

CCXLVIII

Ne se pas laisser aller au dernier.

Il y a des hommes de dernière impression (car l’impertinence va toujours à quelque extrémité) ; ils ont un esprit et une volonté de cire ; le dernier y met le sceau, et efface tous les autres. Ces gens-là ne sont jamais gagnés, parce qu’on les perd avec la même facilité ; chacun leur donne sa teinture, ils ne valent rien pour confidents ; ils sont enfants toute leur vie, et, comme tels,