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L’HOMME DE COUR

CXII

Gagner le cœur.

La première et souveraine cause ne dédaigne pas de le prévenir et de le disposer, lorsqu’elle veut opérer les plus grandes choses. C’est par l’affection que l’on entre dans l’estime. Quelques-uns se fient tant sur leur mérite, qu’ils ne prennent aucun soin de se faire aimer. Mais le sage sait bien que le mérite a un grand tour à faire quand il n’est pas aidé de la faveur. La bienveillance facilite tout, supplée à tout, elle ne suppose pas toujours qu’il y ait de la sagesse, de la discrétion, de la bonté, et de la capacité ; mais elle en donne : elle ne voit jamais les défauts, parce qu’elle fuit de les voir. D’ordinaire, elle naît de la correspondance matérielle, comme d’être de même nation, de même patrie, de même profession, de même famille. Il y a une autre sorte d’affection formelle, qui est plus relevée ; car elle est fondée sur les obligations, sur la réputation, sur le mérite. Toute la difficulté est à la gagner, car il est aisé de la conserver. On peut l’acquérir par ses soins, et puis en faire un bon usage.

CXIII

Dans la bonne fortune, se préparer à la mauvaise.

En été on a le temps de faire sa provision pour l’hiver, et plus commodément. Dans la prospérité, l’on a quantité d’amis, et tout à bon mar-