Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 19.djvu/260

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DUPRÉ.

Je suis encore à comprendre quel intérêt a pu le conduire, riche, jeune, aimant le plaisir, à se jeter dans une conspiration…

DE VERBY.

La gloire !

DUPRÉ, souriant.

Ne dites pas ces choses-là à un avocat qui depuis vingt ans pratique le Palais ; qui a trop étudié les hommes et les affaires pour ne pas savoir que les plus beaux motifs ne servent qu’à déguiser les plus petites choses, et qui n’a pas encore rencontré de cœurs exempts de calculs.

DE VERBY.

Et plaidez-vous gratis ?

DUPRÉ.

Souvent ; mais je ne plaide que selon mes convictions…

DE VERBY.

Monsieur est riche ?

DUPRÉ.

J’avais de la fortune ; sans cela, et dans le monde comme il est, j’eusse été droit à l’hôpital.

DE VERBY.

C’est donc par conviction que vous avez accepté la cause du jeune Rousseau ?

DUPRÉ.

Je le crois la dupe de gens situés dans une région supérieure, et j’aime les dupes quand elles le sont noblement et non victimes de secrets calculs… car nous sommes dans un siècle où la dupe est aussi avide que celui qui l’exploite…

DE VERBY.

Monsieur appartient, je le vois, à la secte des misanthropes.

DUPRÉ.

Je n’estime pas assez les hommes pour les haïr, car je n’ai rencontré personne que je pusse aimer… Je me contente d’étudier mes semblables ; je les vois tous jouant des comédies avec plus ou moins de perfection. Je n’ai d’illusion sur rien, il est vrai, mais je ris comme un spectateur du parterre quand il s’amuse… seulement je ne siffle pas, je n’ai pas assez de passion pour cela.

DE VERBY, à part.

Comment influencer un pareil homme ? (Haut.) Mais, Monsieur, vous avez cependant besoin des autres.