Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/188

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d’un ministre : celui-ci a endossé une grave responsabilité ; celui-là, plein de talent, a risqué sa santé dans des travaux forcés, il avait une persévérance de taupe, et l’on ne se sent pas toujours capable de tels prodiges ! Tout se sait dans les Bureaux. L’homme incapable a une femme pleine de tête qui l’a poussé par là, qui l’a fait nommer député ; s’il n’a pas de talent dans les Bureaux, il intrigaille à la Chambre. Tel a pour ami intime de sa femme un homme d’État. Tel est le commanditaire d’un journaliste puissant. Dès lors le surnuméraire dégoûté donne sa démission. Les trois quarts des surnuméraires quittent l’administration sans avoir été employés, il n’y reste que les jeunes gens entêtés ou les imbéciles qui se disent : « J’y suis depuis trois ans, je finirai par avoir une place ! » ou les jeunes gens qui se sentent une vocation. Évidemment, le surnumérariat est, pour l’Administration, ce que le noviciat est dans les Ordres religieux, une épreuve. Cette épreuve est rude. L’État y découvre ceux qui peuvent supporter la faim, la soif et l’indigence sans y succomber, le travail sans s’en dégoûter, et dont le tempérament acceptera l’horrible existence, ou, si vous voulez, la maladie des Bureaux. De ce point de vue, le surnumérariat, loin d’être une infâme spéculation du Gouvernement pour obtenir du travail gratis, serait une institution bienfaisante.

Le jeune homme à qui parlait Rabourdin était un surnuméraire pauvre nommé Sébastien de La Roche, venu sur la pointe de ses bottes de la rue du Roi-Doré au Marais, sans avoir attrapé la moindre éclaboussure. Il disait maman et n’osait lever les yeux sur madame Rabourdin, dont la maison lui faisait l’effet d’un Louvre. Il montrait peu ses gants nettoyés à la gomme élastique. Sa pauvre mère lui avait mis cent sous dans sa poche au cas où il serait absolument nécessaire de jouer, en lui recommandant de ne rien prendre, de rester debout, et de bien faire attention à ne pas pousser quelque lampe, quelque jolie bagatelle étalée sur une étagère. Sa mise était le noir le plus strict. Sa figure blonde, ses yeux d’une belle teinte verte à reflets dorés étaient en harmonie avec une belle chevelure d’un ton chaud. Le pauvre enfant regardait parfois madame Rabourdin à la dérobée, en se disant : — « Quelle belle femme ! » À son retour, il devait penser à cette fée jusqu’au moment où le sommeil lui clorrait la paupière. Rabourdin avait vu dans Sébastien une vocation, et, comme il prenait le surnumérariat au sérieux, il s’était intéressé vivement à ce pauvre enfant. Il avait