Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/219

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de Vigneros, nièce du cardinal de Richelieu. — Henrici mei casta dea dans Catharina de Médicis. — Eh c’est large nez dans Charles Genest, l’abbé de la cour de Louis XIV, si connu par son gros nez qui amusait le duc de Bourgogne ; enfin tous les anagrammes connus avaient émerveillé Colleville. Érigeant l’anagramme en science, il prétendait que le sort de tout homme était écrit dans la phrase que donnait la combinaison des lettres de ses nom, prénoms et qualités. Depuis l’avénement de Charles X, il s’occupait de l’anagramme du Roi. Thuillier, qui lâchait quelques calembours, prétendait que l’anagramme était un calembour en lettres. Colleville, homme plein de cœur, lié presqu’indissolublement à Thuillier, le modèle de l’égoïste, présentait un problème insoluble et que beaucoup d’employés de la Division expliquaient par ces mots : « Thuillier est riche et le ménage Colleville est lourd ! » En effet, Thuillier passait pour joindre aux émoluments de sa place les bénéfices de l’escompte ; on venait souvent le chercher pour parler à des négociants avec lesquels il avait des conférences de quelques minutes dans la cour, mais pour le compte de mademoiselle Thuillier sa sœur. Cette amitié consolidée par le temps était basée sur des sentiments, sur des faits assez naturels qui trouveront leur place ailleurs (voyez les petits bourgeois) et qui formeraient ici ce que les critiques appellent des longueurs. Il n’est peut-être pas inutile de faire observer néanmoins que si l’on connaissait beaucoup madame Colleville dans les Bureaux, on ignorait presque l’existence de madame Thuillier. Colleville, l’homme actif, chargé d’enfants, était gros, gras, réjoui ; tandis que Thuillier, le Beau de l’Empire, sans soucis apparents, oisif, d’une taille svelte, offrait aux regards une figure blême et presque mélancolique. — « Nous ne savons pas, disait Rabourdin en parlant de ces deux employés, si nos amitiés naissent plutôt des contrastes que des similitudes. »

Au contraire de ces deux frères siamois, Chazelle et Paulmier étaient deux employés toujours en guerre : l’un fumait, l’autre prisait, et ils se disputaient sans cesse à qui pratiquait le meilleur mode d’absorber le tabac. Un défaut qui leur était commun et qui les rendait aussi ennuyeux l’un que l’autre aux employés consistait à se quereller à propos des valeurs mobilières, du taux des petits pois, du prix des maquereaux, des étoffes, des parapluies, des habits, chapeaux, cannes et gants de leurs collègues. Ils vantaient à l’envi l’un de l’autre les nouvelles découvertes sans jamais y participer.