Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/374

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ou les vues de la Suisse à Cassan, comme le fermier-général Bergeret. Enfin c’est l’Art qui fait irruption dans la Morale.

Le prêtre, honteux d’avoir cédé à cette tendresse, repoussa vivement Esther, qui s’assit honteuse aussi, car il lui dit : — Vous êtes toujours courtisane. Et il remit froidement la lettre dans sa ceinture. Comme un enfant qui n’a qu’un désir en tête, Esther ne cessa de regarder l’endroit de la ceinture où était le papier. — Mon enfant, reprit le prêtre après une pause, votre mère était juive, et vous n’avez pas été baptisée, mais vous n’avez pas non plus été menée à la synagogue : vous êtes dans les limbes religieuses où sont les petits enfants…

— Les petits enfants ! répéta-t-elle d’une voix attendrie.

— … Comme vous êtes, dans les cartons de la police, un chiffre en dehors des êtres sociaux, dit en continuant le prêtre impassible. Si l’amour, vu par une échappée, vous a fait croire, il y a trois mois, que vous naissiez, vous devez sentir que depuis ce jour vous êtes vraiment en enfance. Il faut donc vous conduire comme si vous étiez une enfant ; vous devez changer entièrement, et je me charge de vous rendre méconnaissable. D’abord, vous oublierez Lucien.

La pauvre fille eut le cœur brisé par cette parole ; elle leva les yeux sur le prêtre et fit un signe de négation ; elle fut incapable de parler, en retrouvant encore le bourreau dans le sauveur.

— Vous renoncerez à le voir, du moins, reprit-il. Je vous conduirai dans une maison religieuse où les jeunes filles des meilleures familles reçoivent leur éducation ; vous y deviendrez catholique, vous y serez instruite dans la pratique des exercices chrétiens, vous y apprendrez la religion ; vous pourrez en sortir une jeune fille accomplie, chaste, pure, bien élevée, si…

Cet homme leva le doigt et fit une pause.

— Si, reprit-il, vous vous sentez la force de laisser ici la Torpille.

— Ah ! cria la pauvre enfant pour qui chaque parole avait été comme la note d’une musique au son de laquelle les portes du paradis se fussent lentement ouvertes, ah ! s’il était possible de verser ici tout mon sang et d’en prendre un nouveau !…

— Écoutez-moi.

Elle se tut.

— Votre avenir dépend de la puissance de votre oubli. Songez