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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/571

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— Oh ! monsieur, dit la femme, nous avons trouvé l’enseigne.

— Oh ! le calembour existe dans tous les départements, dit Corentin, vous n’en avez pas le monopole.

— Vous êtes servis, messieurs, dit l’aubergiste.

— Et, où diable ce jeune homme aurait-il pris son argent ?… L’anonyme aurait-il raison ? serait-ce la monnaie d’une belle fille ? dit Derville à Corentin en s’attablant pour dîner.

— Ah ! ce serait le sujet d’une autre enquête, dit Corentin. Lucien de Rubempré vit, m’a dit monsieur le duc de Chaulieu, avec une juive convertie, qui se faisait passer pour Hollandaise, et nommée Esther Van-Bogseck.

— Quelle singulière coïncidence ! dit l’avoué, je cherche l’héritière d’un Hollandais appelé Gobseck, c’est le même nom avec un changement de consonnes…

— Eh ! bien, dit Corentin, à Paris, je vous aurai des renseignements sur la filiation à mon retour à Paris.

Une heure après, les deux chargés d’affaires de la maison de Grandlieu partaient pour la Verberie, maison de monsieur et madame Séchard. Jamais Lucien n’avait éprouvé des émotions aussi profondes que celles dont il fut saisi à la Verberie par la comparaison de sa destinée avec celle de son beau-frère. Les deux Parisiens allaient y trouver le même spectacle qui, quelques jours auparavant, avait frappé Lucien. Là tout respirait le calme et l’abondance. À l’heure où les deux étrangers devaient arriver, le salon de la Verberie était occupé par une société de cinq personnes : le curé de Marsac, jeune prêtre de vingt-cinq ans qui s’était fait, à la prière de madame Séchard, le précepteur de son fils Lucien ; le médecin du pays, nommé monsieur Marron ; le maire de la commune, et un vieux colonel retiré du service qui cultivait les roses dans une petite propriété, située en face de la Verberie, de l’autre côté de la route. Tous les soirs d’hiver, ces personnes venaient faire un innocent boston à un centime la fiche, prendre les journaux ou rapporter ceux qu’ils avaient lus. Quand monsieur et madame Séchard achetèrent la Verberie, belle maison bâtie en tufau et couverte en ardoises, ses dépendances d’agrément consistaient en un petit jardin de deux arpents. Avec le temps, en y consacrant ses économies, la belle madame Séchard avait étendu son jardin jusqu’à un petit cours d’eau, en sacrifiant les vignes qu’elle achetait et les convertissant en gazons et en massifs. En ce moment, la Verberie, entourée d’un