Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se leva brusquement, et remonta chez elle sans rien dire. Elle habitait dans la chambre d’honneur, auprès de laquelle se trouvaient un cabinet et un oratoire, situés dans la tourelle qui regardait la forêt. Quand elle eut quitté le salon, les chiens aboyèrent, on entendit sonner à la petite grille, et Durieu vint, la figure effarée, dire au salon : — Voici le maire ! il y a quelque chose de nouveau.

Ce maire, ancien piqueur de la maison de Simeuse, venait quelquefois au château, où, par politique, les d’Hauteserre lui témoignaient une déférence à laquelle il attachait le plus haut prix. Cet homme, nommé Goulard, avait épousé une riche marchande de Troyes dont le bien se trouvait sur la commune de Cinq-Cygne, et qu’il avait augmenté de toutes les terres d’une riche abbaye à l’acquisition de laquelle il mit toutes ses économies. La vaste abbaye du Val-des-Preux, située à un quart de lieue du château, lui faisait une habitation presque aussi splendide que Gondreville, et où ils figuraient, sa femme et lui, comme deux rats dans une cathédrale. — « Goulard, tu as été goulu ! » lui dit en riant mademoiselle la première fois qu’elle le vit à Cinq-Cygne. Quoique très attaché à la Révolution et froidement accueilli par la comtesse, le maire se sentait toujours tenu par les liens du respect envers les Cinq-Cygne et les Simeuse. Aussi fermait-il les yeux sur tout ce qui se passait au château. Il appelait fermer les yeux, ne pas voir les portraits de Louis XVI, de Marie-Antoinette, des enfants de France, de Monsieur, du comte d’Artois, de Cazalès, de Charlotte Corday, qui ornaient les panneaux du salon ; ne pas trouver mauvais qu’on souhaitât, en sa présence, la ruine de la République, qu’on se moquât des cinq directeurs, et de toutes les combinaisons d’alors. La position de cet homme qui, semblable à beaucoup de parvenus, une fois sa fortune faite, recroyait aux vieilles familles et voulait s’y rattacher, venait d’être mise à profit par les deux personnages dont la profession avait été si promptement devinée par Michu, et qui, avant d’aller à Gondreville, avaient exploré le pays.

L’homme aux belles traditions de l’ancienne police et Corentin, ce phénix des espions, avaient une mission secrète. Malin ne se trompait pas en prêtant un double rôle à ces deux artistes en farces tragiques ; aussi, peut-être avant de les voir à l’œuvre, est-il nécessaire de montrer la tête à laquelle ils servaient de bras. Bonaparte, en devenant Premier Consul, trouva Fouché dirigeant la