Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/423

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Sainte-Chapelle ; il travaillait pendant la moitié de la nuit ; après avoir dormi de six à dix heures, il recommençait en se levant, écrivait jusqu’à trois heures ; il sortait alors pour porter ses copies avant le dîner et allait manger rue Michel-le-Comte, chez Mizerai, à raison de neuf sous par repas, puis il revenait se coucher à six heures. Il nous fut prouvé que Marcas ne prononçait pas quinze phrases dans un mois ; il ne parlait à personne, il ne se disait pas un mot à lui-même dans son horrible mansarde.

— Décidément, les ruines de Palmyre sont terriblement silencieuses, s’écria Juste.

Ce silence chez un homme dont les dehors étaient si imposants avait quelque chose de profondément significatif. Quelquefois, en nous rencontrant avec lui, nous échangions des regards pleins de pensée de part et d’autre, mais qui ne furent suivis d’aucun protocole. Insensiblement, cet homme devint l’objet d’une intime admiration, sans que nous pussions nous en expliquer la cause. Était-ce ces mœurs secrètement simples ? cette régularité monastique, cette frugalité de solitaire, ce travail de niais qui permettait à la pensée de rester neutre ou de s’exercer, et qui accusait l’attente de quelque événement heureux ou quelque parti pris sur la vie ? Après nous être longtemps promenés dans les ruines de Palmyre, nous les oubliâmes, nous étions si jeunes ! Puis vint le carnaval, ce carnaval parisiens qui, désormais, effacera l’ancien carnaval de Venise, et qui dans quelques années attirera l’Europe à Paris, si de malencontreux préfets de police ne s’y opposent. On devrait tolérer le jeu pendant le carnaval ; mais les niais moralistes qui ont fait supprimer le jeu sont des calculateurs imbéciles qui ne rétabliront cette plaie nécessaire que quand il sera prouvé que la France laisse des millions en Allemagne.

Ce joyeux carnaval amena, comme chez tous les étudiants, une grande misère. Nous nous étions défaits des objets de luxe ; nous avions vendu nos doubles habits, nos doubles bottes, nos doubles gilets, tout ce que nous avions en double, excepté notre ami. Nous mangions du pain et de la charcuterie, nous marchions avec précaution, nous nous étions mis à travailler, nous devions deux mois à l’hôtel, et nous étions certains d’avoir chez le portier chacun une note composée de plus de soixante ou quatre-vingts lignes dont le total allait à quarante ou cinquante francs. Nous n’étions plus ni brusques ni joyeux en traversant le palier carré qui se trouve au