Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/499

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que nous avons eu le chagrin de perdre il y a trois ans, et qui pendant quinze années exerça la charité la plus active dans le quartier Saint-Marcel. Il eut, avec notre vénérable vicaire de Notre-Dame et Madame, la pensée de fonder l’œuvre à laquelle nous coopérons, et qui, depuis 1825, a secrètement produit quelque bien. Cette œuvre a eu dans madame de La Chanterie une âme, car elle est véritablement l’âme de cette entreprise. Le vicaire a su nous rendre plus religieux que nous ne l’étions d’abord, en nous démontrant la nécessité d’être vertueux nous-mêmes pour pouvoir inspirer la vertu, pour enfin prêcher d’exemple. Plus nous avons cheminé dans cette voie, plus nous nous sommes réciproquement trouvés heureux. Ce fut donc le repentir que j’eus d’avoir méconnu le cœur de mon ami d’enfance qui me donna l’idée de consacrer aux pauvres, par moi même, la fortune qu’il me rapportait et que j’acceptai sans me révolter contre l’énormité de la somme rendue à la place de celle que j’avais prêtée : la destination conciliait tout.

Ce récit, fait sans aucune emphase et avec une touchante bonhomie dans l’accent, dans le geste, dans le regard, aurait inspiré à Godefroid le désir d’entrer dans cette sainte et noble association, si déjà sa résolution n’eût été prise.

— Vous connaissez peu le monde, dit Godefroid, puisque vous avez eu de tels scrupules pour ce qui ne pèserait sur aucune conscience.

— Je ne connais que les malheureux, répondit le bonhomme. Je désire peu connaître un monde où l’on craint si peu de se mal juger les uns les autres. Voici bientôt minuit, et j’ai mon chapitre de l’Imitation de Jésus-Christ à méditer. Bonne nuit.

Godefroid prit la main du bonhomme et la lui serra par un mouvement plein d’admiration.

— Pouvez-vous me dire l’histoire de madame de La Chanterie ? demanda Godefroid.

— C’est impossible sans son consentement, répondit le bonhomme, car elle touche à l’un des événements les plus terribles de la politique impériale. Ce fut par mon ami Bordin que j’ai connu madame, il en a eu tous les secrets, c’est lui qui m’a, pour ainsi dire, amené dans cette maison.

— Quoi qu’il en soit, répondit Godefroid, je vous remercie de m’avoir raconté votre vie, il s’y trouve des leçons pour moi.

— Savez-vous quelle en est la morale ?