Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/89

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de l’abbé Carlos Herrera qui, n’étant pas signé de lui, peut se recommencer sans inconvénient. Vous confronterez demain ce diplomate espagnol avec messieurs de Rastignac et Bianchon, qui ne reconnaîtront pas en lui notre Jacques Collin. Sûr de sa mise en liberté, l’abbé signera les interrogatoires. Mettez dès ce soir en liberté Lucien de Rubempré. Certes ce n’est pas lui qui parlera de l’interrogatoire dont le procès-verbal est supprimé… La Gazette des Tribunaux annoncera demain la mise en liberté immédiate de ce jeune homme. Maintenant, voyons si la Justice souffre de ces mesures ? Si l’Espagnol est le forçat, nous avons mille moyens de le reprendre, de lui faire son procès, car nous allons éclaircir diplomatiquement sa conduite en Espagne : Corentin est là… Pouvons-nous tuer le comte, la comtesse de Sérisy, Lucien pour un vol de sept cent cinquante mille francs, encore hypothétique et commis d’ailleurs au préjudice de Lucien ? ne vaut-il pas mieux lui laisser perdre cette somme que le perdre de réputation ?… surtout quand il entraîne dans sa chute un ministre d’État, sa femme et la duchesse de Maufrigneuse… Ce jeune homme est une orange tachée, ne la pourrissez pas… Ceci est l’affaire d’une demi-heure. Allez, nous vous attendons. Il est quatre heures et demie, vous trouverez encore des juges, avertissez-moi si vous pouvez avoir une ordonnance de non-lieu en règle… ou bien Lucien attendra jusqu’à demain matin.

Camusot sortit après avoir salué ; mais madame de Sérisy, qui sentait alors vivement les atteintes du feu, ne lui rendit pas son salut. Monsieur de Sérisy, qui s’était élancé subitement hors du cabinet pendant que le procureur général parlait au juge, revint alors avec un petit pot de cire vierge, et pansa les mains de sa femme en lui disant à l’oreille : — Léontine, pourquoi venir ici sans me prévenir ?

— Pauvre ami ! lui répondit-elle à l’oreille, pardonnez-moi, je parais folle ; mais il s’agissait de vous autant que de moi.

— Aimez ce jeune homme, si la fatalité le veut, mais ne laissez pas tant voir votre passion !… répondit le pauvre mari.

— Allons, chère comtesse, dit monsieur de Grandville après avoir causé pendant quelque temps avec le comte Octave, j’espère que vous emmènerez monsieur de Rubempré dîner chez vous ce soir.

Cette quasi promesse produisit une telle réaction sur madame de Sérisy, qu’elle pleura.

— Je croyais ne plus avoir de larmes, dit-elle en souriant. Ne