Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/96

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intérieures de la Conciergerie dont l’entrée est dans le souterrain obscur qui fait face à la tour d’Argent, en évitant ainsi de montrer un jeune homme élégant à la foule des accusés qui se promènent dans le préau. On va juger si l’aspect de ce promenoir est de nature à saisir vivement une âme de poète.

Le préau de la Conciergerie est borné sur le quai par la tour d’Argent et par la tour Bonbec ; or, l’espace qui les sépare indique parfaitement au dehors la largeur du préau. La galerie, dite de Saint-Louis, qui mène de la galerie marchande à la cour de Cassation et à la tour Bonbec où se trouve encore, dit-on, le cabinet de saint Louis, peut donner aux curieux la mesure de la longueur du préau, car elle en répète la dimension. Les Secrets et les Pistoles se trouvent donc sous la galerie marchande. Aussi la reine Marie-Antoinette, dont le cachot est sous les Secrets actuels, était-elle conduite au tribunal révolutionnaire, qui tenait ses séances dans le local de l’audience solennelle de la Cour de Cassation, par un escalier formidable pratiqué dans l’épaisseur des murs qui soutiennent la galerie marchande et aujourd’hui condamné. L’un des côtés du préau, celui dont le premier étage est occupé par la galerie de Saint-Louis, présente aux regards une enfilade de colonnes gothiques entre lesquelles les architectes de je ne sais quelle époque ont pratiqué deux étages de cabanons pour loger le plus d’accusés possible, en empâtant de plâtre, de grilles et de scellements les chapiteaux, les ogives et les fûts de cette galerie magnifique. Sous le cabinet, dit de saint Louis, dans la tour Bonbec, tourne un escalier en colimaçon qui mène à ces cabanons. Cette prostitution des plus grands souvenirs de la France est d’un effet hideux.

À la hauteur où Lucien se trouvait, son regard prenait en écharpe cette galerie et les détails du corps de logis qui réunit la tour d’Argent à la tour Bonbec ; il voyait les toits pointus des deux tours. Il resta tout ébahi, son suicide fut retardé par son admiration. Aujourd’hui les phénomènes de l’hallucination sont si bien admis par la médecine, que ce mirage de nos sens, cette étrange faculté de notre esprit n’est plus contestable. L’homme, sous la pression d’un sentiment arrivé au point d’être une monomanie à cause de son intensité, se trouve souvent dans la situation où le plongent l’opium, le hachisch et le protoxyde d’azote. Alors apparaissent les spectres, les fantômes, alors les rêves prennent du corps, les choses détruites revivent alors dans leurs conditions premières. Ce