Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/116

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leur pays, ont voulu nous tuer sur la limite ; mais Hulot est un rude chrétien qui leur a donné…

— Alors vous avez dû voir le Gars ? demanda-t-elle. Quel homme est-ce ?…

Ses yeux perçants et malicieux ne quittèrent pas la figure du marquis.

— Oh ! mon Dieu ! mademoiselle, répondit Merle toujours interrompu, il ressemble tellement au citoyen du Gua, que, s’il ne portait pas l’uniforme de l’École Polytechnique, je gagerais que c’est lui.

Mademoiselle de Verneuil regarda fixement le froid et immobile jeune homme qui la dédaignait, mais elle ne vit rien en lui qui pût trahir un sentiment de crainte ; elle l’instruisit par un sourire amer de la découverte qu’elle faisait en ce moment du secret si traîtreusement gardé par lui ; puis d’une voix railleuse, les narines enflées de joie, la tête de côté pour examiner le marquis et voir Merle tout à la fois, elle dit au Républicain : — Ce chef-là, capitaine, donne bien des inquiétudes au premier Consul. Il a de la hardiesse, dit-on ; seulement il s'aventure dans certaines entreprises comme un étourneau, surtout auprès des femmes.

— Nous comptons bien là-dessus, reprit le capitaine, pour solder notre compte avec lui. Si nous le tenons seulement deux heures, nous lui mettrons un peu de plomb dans la tête. S’il nous rencontrait, le drôle en ferait autant de nous, et nous mettrait à l’ombre ; ainsi, par pari

— Oh ! dit le Gars, nous n’avons rien à craindre ! Vos soldats n’iront pas jusqu’à La Pèlerine, ils sont trop fatigués, et si vous y consentez, ils pourront se reposer à deux pas d’ici. Ma mère descend à la Vivetière, et en voici le chemin, à quelques portées de fusil. Ces deux dames voudront s’y reposer, elles doivent être lasses d’être venues d’une seule traite d’Alençon, ici. — Et puisque mademoiselle, dit-il avec une politesse forcée en se tournant vers sa maîtresse, a eu la générosité de donner à notre voyage autant de sécurité que d’agrément, elle daignera peut-être accepter à souper chez ma mère. — Enfin, capitaine, ajouta-t-il en s’adressant à Merle, les temps ne sont pas si malheureux qu’il ne puisse se trouver encore à la Vivetière une pièce de cidre à défoncer pour vos hommes. Allez, le Gars n’y aura pas tout pris ; du moins, ma mère le croit…