Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/121

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fraient de nombreuses lézardes où le lierre attachait ses griffes. Deux corps de bâtiment réunis en équerre à une haute tour et qui faisaient face à l’étang, composaient tout le château, dont les portes et les volets pendants et pourris, les balustrades rouillées, les fenêtres ruinées, paraissaient devoir tomber au premier souffle d’une tempête. La bise sifflait alors à travers ces ruines auxquelles la lune prêtait, par sa lumière indécise, le caractère et la physionomie d’un grand spectre. Il faut avoir vu les couleurs de ces pierres granitiques grises et bleues, mariées aux schistes noirs et fauves, pour savoir combien est vraie l’image que suggérait la vue de cette carcasse vide et sombre. Ses pierres disjointes, ses croisées sans vitres, sa tour à créneaux, ses toits à jour lui donnaient tout à fait l’air d’un squelette ; et les oiseaux de proie qui s’envolèrent en criant ajoutaient un trait de plus à cette vague ressemblance. Quelques hauts sapins plantés derrière la maison balançaient au-dessus des toits leur feuillage sombre, et quelques ifs, taillés pour en décorer les angles, l’encadraient de tristes festons, semblables aux tentures d’un convoi. Enfin, la forme des portes, la grossièreté des ornements, le peu d’ensemble des constructions, tout annonçait un de ces manoirs féodaux dont s’enorgueillit la Bretagne, avec raison peut-être, car ils forment sur cette terre gaélique une espèce d’histoire monumentale des temps nébuleux qui précèdent l’établissement de la monarchie.

Mademoiselle de Verneuil, dans l’imagination de laquelle le mot de château réveillait toujours les formes d’un type convenu, frappée de la physionomie funèbre de ce tableau, sauta légèrement hors de la calèche, et le contempla toute seule avec terreur, en songeant au parti qu’elle devait prendre. Francine entendit pousser à madame du Gua un soupir de joie en se trouvant hors de l’atteinte des Bleus, et une exclamation involontaire lui échappa quand le portail fut fermé et qu’elle se vit dans cette espèce de forteresse naturelle.

Montauran s’était vivement élancé vers mademoiselle de Verneuil en devinant les pensées qui la préoccupaient.

— Ce château, dit-il avec une légère tristesse, a été ruiné par la guerre, comme les projets que j’élevais pour notre bonheur l’ont été par vous.

— Et comment, demanda-t-elle toute surprise.

— Êtes-vous une jeune femme belle, NOBLE et spirituelle, dit-il