Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/132

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— Il n’y a que vous ici à qui je voie risquer quelque chose.

— Je ne suis pas le seul, reprit-il avec une modestie vraie. Voici là-bas deux nouveaux chefs de la Vendée. Le premier, que vous avez entendu nommer le Grand-Jacques, est le comte de Fontaine, et l’autre la Billardière, que je vous ai déjà montré.

— Et oubliez-vous Quiberon, où la Billardière a joué le rôle le plus singulier ?… répondit-elle frappée d’un souvenir.

— La Billardière a beaucoup pris sur lui, croyez-moi. Ce n’est pas être sur des roses que de servir les princes…

— Ah ! vous me faites frémir ! s’écria Marie. Marquis, reprit-elle d’un ton qui semblait annoncer une réticence dont le mystère lui était personnel, il suffit d’un instant pour détruire une illusion et dévoiler des secrets d’où dépendent la vie et le bonheur de bien des gens… Elle s’arrêta comme si elle eût craint d’en trop dire, et ajouta : — Je voudrais savoir les soldats de la République en sûreté.

— Je serai prudent, dit-il en souriant pour déguiser son émotion, mais ne me parlez plus de vos soldats, je vous ai répondu sur ma foi de gentilhomme.

— Et après tout, de quel droit voudrais-je vous conduire ? reprit-elle. Entre nous soyez toujours le maître. Ne vous ai-je pas dit que je serais au désespoir de régner sur un esclave ?

— Monsieur le marquis, dit respectueusement le major Brigaut en interrompant cette conversation, les Bleus resteront-ils donc longtemps ici ?

— Ils partiront aussitôt qu’ils se seront reposés, s’écria Marie.

Le marquis lança des regards scrutateurs sur l’assemblée, y remarqua de l’agitation, quitta mademoiselle de Verneuil, et laissa madame du Gua venir le remplacer auprès d’elle. Cette femme apportait un masque riant et perfide que le sourire amer du jeune chef ne déconcerta point. En ce moment Francine jeta un cri promptement étouffé. Mademoiselle de Verneuil, qui vit avec étonnement sa fidèle campagnarde s’élancent vers la salle à manger, regarda madame du Gua, et sa surprise augmenta à l’aspect de la pâleur répandue sur le visage de son ennemie. Curieuse de pénétrer le secret de ce brusque départ, elle s’avança vers l’embrasure de la fenêtre où sa rivale la suivit afin de détruire les soupçons qu’une imprudence pouvait avoir éveillés et lui sourit avec une indéfinissable malice quand, après avoir jeté toutes deux un regard