Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui mettait la pudeur en premier dans les artifices de la femme, eut un mouvement de folie et marcha d’un pas saccadé vers le commandant stupéfait.

— Pour quelques soldats égorgés, j’amènerai sous la hache de vos échafauds une tête qui vaut des milliers de têtes, dit-elle. Les femmes font rarement la guerre, mais vous pourrez, quelque vieux que vous soyez, apprendre à mon école de bons stratagèmes. Je livrerai à vos baïonnettes une famille entière : ses aïeux et lui, son avenir, son passé. Autant j’ai été bonne et vraie pour lui, autant je serai perfide et fausse. Oui, commandant, je veux amener ce petit gentilhomme dans mon lit et il en sortira pour marcher à la mort. C’est cela, je n’aurai jamais de rivale… Il a prononcé lui-même son arrêt : un jour sans lendemain ! Votre République et moi nous serons vengées. La République ! reprit-elle d’une voix dont les intonations bizarres effrayèrent Hulot, mais le rebelle mourra donc pour avoir porté les armes contre son pays ? La France me volerait donc ma vengeance ! Ah ! qu’une vie est peu de chose, une mort n’expie qu’un crime ! Mais si ce monsieur n’a qu’une tête à donner, j’aurai une nuit pour lui faire penser qu’il perd plus d’une vie. Sur toute chose, commandant, vous qui le tuerez (elle laissa échapper un soupir), faites en sorte que rien ne trahisse ma trahison, et qu’il meure convaincu de ma fidélité. Je ne vous demande que cela. Qu’il ne voie que moi, moi et mes caresses !

Là, elle se tut ; mais à travers la pourpre de son visage, Hulot et Corentin s’aperçurent que la colère et le délire n’étouffaient pas entièrement la pudeur. Marie frissonna violemment en disant les derniers mots ; elle les écouta de nouveau comme si elle eût douté de les avoir prononcés, et tressaillit naïvement en faisant les gestes involontaires d’une femme à laquelle un voile échappe.

— Mais vous l’avez eu entre les mains, dit Corentin.

— Probablement, répondit-elle avec amertume.

— Pourquoi m’avoir arrêté quand je le tenais, reprit Hulot.

— Eh ! commandant, nous ne savions pas que ce serait lui. Tout à coup, cette femme agitée, qui se promenait à pas précipités en jetant des regards dévorants aux deux spectateurs de cet orage, se calma. — Je ne me reconnais pas, dit-elle d’un ton d’homme. Pourquoi parler, il faut l’aller chercher !

— L’aller chercher, dit Hulot ; mais, ma chère enfant, prenez-y garde, nous ne sommes pas maîtres des campagnes, et, si vous