Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/173

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Pille-miche poussa vivement le coude de son camarade en lui montrant d’Orgemont qui feignait de dormir ; mais Marche-à-terre et Pille-miche savaient par expérience que personne n’avait encore sommeillé au coin de leur feu ; et, quoique les dernières paroles dites à Galope-chopine eussent été prononcées à voix basse, comme elles pouvaient avoir été comprises par le patient, les quatre Chouans le regardèrent tous pendant un moment et pensèrent sans doute que la peur lui avait ôté l’usage de ses sens. Tout à coup, sur un léger signe de Marche-à-terre, Pille-miche ôta les souliers et les bas de d’Orgemont, Mène-à-bien et Galope-chopine le saisirent à bras-le-corps, le portèrent au feu ; puis Marche-à-terre prit un des liens du fagot, et attacha les pieds de l’avare à la crémaillère. L’ensemble de ces mouvements et leur incroyable célérité firent pousser à la victime des cris qui devinrent déchirants quand Pille-miche eut rassemblé des charbons sous les jambes.

— Mes amis, mes bons amis, s’écria d’Orgemont, vous allez me faire mal, je suis chrétien comme vous.

— Tu mens par ta gorge, lui répondit Marche-à-terre. Ton frère a renié Dieu. Quant à toi, tu as acheté l’abbaye de Juvigny. L’abbé Gudin dit que l’on peut, sans scrupule, rôtir les apostats.

— Mais, mes frères en Dieu, je ne refuse pas de vous payer.

— Nous t’avions donné quinze jours, deux mois se sont passés, et voilà Galope-chopine qui n’a rien reçu.

— Tu n’as donc rien reçu, Galope-chopine ? demanda l’avare avec désespoir.

— Rin ! monsieur d’Orgemont, répondit Galope-chopine effrayé.

Les cris, qui s’étaient convertis en un grognement, continu comme le râle d’un mourant, recommencèrent avec une violence inouïe. Aussi habitués à ce spectacle qu’à voir marcher leurs chiens sans sabots, les quatre Chouans contemplaient si froidement d’Orgemont qui se tortillait et hurlait, qu’ils ressemblaient à des voyageurs attendant devant la cheminée d’une auberge si le rôt est assez cuit pour être mangé.

— Je meurs ! je meurs ! cria la victime… et vous n’aurez pas mon argent.

Malgré la violence de ces cris, Pille-miche s’aperçut que le feu ne mordait pas encore la peau ; l’on attisa donc très-artistement les charbons de manière à faire légèrement flamber le feu, d’Orgemont dit alors d’une voix abattue : — Mes amis, déliez-moi. Que