Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/196

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à de rapides progrès, et tantôt, comme étonnée de la vivacité du sentiment qu’elle éprouvait, elle manifestait une froideur qui charmait le comte, et qui servait à augmenter insensiblement cette passion impromptue. Elle ressemblait parfaitement à un pêcheur qui de temps en temps lève sa ligne pour reconnaître si le poisson mord à l’appât. Le pauvre comte se laissa prendre à la manière innocente dont sa libératrice avait accepté deux ou trois compliments assez bien tournés. L’émigration, la République, la Bretagne et les Chouans se trouvèrent alors à mille lieues de sa pensée. Hulot se tenait droit, immobile et silencieux comme le dieu Terme. Son défaut d’instruction le rendait tout à fait inhabile à ce genre de conversation, il se doutait bien que les deux interlocuteurs devaient être très-spirituels ; mais tous les efforts de son intelligence ne tendaient qu’a les comprendre, afin de savoir s’ils ne complotaient pas à mots couverts contre la République.

— Montauran, mademoiselle, disait le comte, a de la naissance, il est bien élevé, joli garçon ; mais il ne connaît pas du tout la galanterie. Il est trop jeune pour avoir vu Versailles. Son éducation a été manquée, et, au lieu de faire des noirceurs, il donnera des coups de couteau. Il peut aimer violemment, mais il n’aura jamais cette fine fleur de manières qui distinguait Lauzun, Adhémar, Coigny, comme tant d’autres !… Il n’a point l’art aimable de dire aux femmes de ces jolis riens qui, après tout, leur conviennent mieux que ces élans de passion par lesquels on les a bientôt fatiguées. Oui, quoique ce soit un homme à bonnes fortunes, il n’en a ni le laisser-aller, ni la grâce.

— Je m’en suis bien aperçue, répondit Marie.

— Ah ! se dit le comte, elle a eu une inflexion de voix et un regard qui prouvent que je ne tarderai pas à être du dernier bien avec elle ; et ma foi, pour lui appartenir, je croirai tout ce qu’elle voudra que je croie.

Il lui offrit la main, le dîner était servi. Mademoiselle de Verneuil fit les honneurs du repas avec une politesse et un tact qui ne pouvaient avoir été acquis que par l’éducation et dans la vie recherché de la cour.

— Allez-vous-en, dit-elle à Hulot en sortant de table, vous lui feriez peur, tandis que si je suis seule avec lui je saurai bientôt tout ce que j’ai besoin d’apprendre ; il en est au point où un homme me dit tout ce qu’il pense et ne voit plus que par mes yeux.