Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/231

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Ils revinrent ensemble dans la salle de bal, et quoique mademoiselle de Verneuil fût aussi complètement flattée dans son cœur et dans sa vanité que puisse l’être une femme, l’impénétrable douceur de ses yeux, le fin sourire de ses lèvres, la rapidité des mouvements d’une danse animée, gardèrent le secret de ses pensées, comme la mer celui du criminel qui lui confie un pesant cadavre. Néanmoins l’assemblée laissa échapper un murmure d’admiration quand elle se roula dans les bras de son amant pour valser, et que, l’œil sous le sien, tous deux voluptueusement entrelacés, les yeux mourants, la tête lourde, ils tournoyèrent en se serrant l’un l’autre avec une sorte de frénésie, et révélant ainsi tous les plaisirs qu’ils espéraient d’une plus intime union.

— Comte, dit madame du Gua à monsieur de Bauvan, allez savoir si Pille-miche est au camp, amenez-le-moi ; et soyez certain d’obtenir de moi, pour ce léger service, tout ce que vous voudrez, même ma main. — Ma vengeance me coûtera cher, dit-elle en le voyant s’éloigner ; mais, pour cette fois, je ne la manquerai pas.

Quelques moments après cette scène, mademoiselle de Verneuil et le marquis étaient au fond d’une berline attelée de quatre chevaux vigoureux. Surprise de voir ces deux prétendus ennemis les mains entrelacées et de les trouver en si bon accord, Francine restait muette, sans oser se demander si, chez sa maîtresse, c’était de la perfidie ou de l’amour. Grâce au silence et à l’obscurité de la nuit, le marquis ne put remarquer l’agitation de mademoiselle de Verneuil à mesure qu’elle approchait de Fougères. Les faibles teintes du crépuscule permirent d’apercevoir dans le lointain le clocher de Saint-Léonard. En ce moment Marie se dit : — Je vais mourir ! À la première montagne, les deux amants eurent à la fois la même pensée, ils descendirent de voiture et gravirent à pied la colline, comme en souvenir de leur première rencontre. Lorsque Marie eut pris le bras du marquis et fait quelques pas, elle remercia le jeune homme par un sourire, de ce qu’il avait respecté son silence ; puis, en arrivant sur le sommet du plateau, d’où l’on découvrait Fougères, elle sortit tout à fait de sa rêverie.

— N’allez pas plus avant, dit-elle, mon pouvoir ne vous sauverait plus des Bleus aujourd’hui.

Montauran lui marqua quelque surprise, elle sourit tristement, lui montra du doigt un quartier de roche, comme pour lui ordon-