Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/236

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bonheur et le désespoir, elle perdit l’éclat de sa beauté et cette fraîcheur dont le principe est dans l’absence de toute passion ou dans l’ivresse de la félicité. Curieux de connaître le résultat de sa folle entreprise, Hulot et Corentin était venus voir Marie peu de temps après son arrivée : elle les reçut d’un air riant.

— Eh ! bien, dit-elle au commandant, dont la figure soucieuse avait une expression très-interrogative, le renard revient à portée de vos fusils, et vous allez bientôt remporter une bien glorieuse victoire.

— Qu’est-il donc arrivé ? demanda négligemment Corentin en jetant à mademoiselle de Verneuil un de ces regards obliques par lesquels ces espèces de diplomates espionnent la pensée.

— Ah ! répondit-elle, le Gars est plus que jamais épris de ma personne, et je l’ai contraint à nous accompagner jusqu’aux portes de Fougères.

— Il paraît que votre pouvoir a cessé là, reprit Corentin, et que la peur du ci-devant surpasse encore l’amour que vous lui inspirez.

Mademoiselle de Verneuil jeta un regard de mépris à Corentin.

— Vous le jugez d’après vous-même, lui répondit-elle.

— Eh ! bien, dit-il sans s’émouvoir, pourquoi ne l’avez-vous pas amené jusque chez vous ?

— S’il m’aimait véritablement, commandant, dit-elle à Hulot en lui jetant un regard plein de malice, m’en voudriez-vous beaucoup de le sauver, en l’emmenant hors de France ?

Le vieux soldat s’avança vivement vers elle et lui prit la main pour la baiser, avec une sorte d’enthousiasme ; puis il la regarda fixement et lui dit d’un air sombre : — Vous oubliez mes deux amis et mes soixante-trois hommes.

— Ah ! commandant, dit-elle avec toute la naïveté de la passion, il n’en est pas comptable, il a été joué par une mauvaise femme, la maîtresse de Charette qui boirait, je crois, le sang des Bleus…

— Allons, Marie, reprit Corentin, ne vous moquez pas du commandant, il n’est pas encore au fait de vos plaisanteries.

— Taisez-vous, lui répondit-elle, et sachez que le jour où vous m’aurez un peu trop déplu, n’aura pas de lendemain pour vous.

— Je vois, mademoiselle, dit Hulot sans amertume, que je dois m’apprêter à combattre.

— Vous n’êtes pas en mesure, cher colonel. Je leur ai vu plus