Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/241

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quel l’espion pénétra dans la chambre, une expression de visage que Marie ne lui connaissait pas, le son mat de sa voix grêle, sa démarche, tout l’effraya ; elle comprit qu’une lutte secrète commençait entre eux, et qu’il déployait contre elle tous les pouvoirs de sa sinistre influence ; mais si elle eut en ce moment une vue distincte et complète de l’abîme au fond duquel elle se précipitait, elle puisa des forces dans son amour pour secouer le froid glacial de ses pressentiments.

— Corentin, reprit-elle avec une sorte de gaieté, j’espère que vous allez me laisser faire ma toilette.

— Marie, dit-il, oui, permettez-moi de vous nommer ainsi. Vous ne me connaissez pas encore ! Écoutez, un homme moins perspicace que je ne le suis aurait déjà découvert votre amour pour le marquis de Montauran. Je vous ai à plusieurs reprises offert et mon cœur et ma main. Vous ne m’avez pas trouvé digne de vous, et peut-être avez-vous raison ; mais si vous vous trouvez trop haut placée, trop belle, ou trop grande pour moi, je saurai bien vous faire descendre jusqu’à moi. Mon ambition et mes maximes vous ont donné peu d’estime pour moi ; et, franchement, vous avez tort. Les hommes ne valent que ce que je les estime, presque rien. J’arriverai certes à une haute position dont les honneurs vous flatteront. Qui pourra mieux vous aimer, qui vous laissera plus souverainement maîtresse de lui, si ce n’est l’homme par qui vous êtes aimée depuis cinq ans ? Quoique je risque de vous voir prendre de moi une idée qui me sera défavorable, car vous ne concevez pas qu’on puisse renoncer par excès d’amour à la personne qu’on idolâtre, je vais vous donner la mesure du désintéressement avec lequel je vous adore. N’agitez pas ainsi votre jolie tête. Si le marquis vous aime, épousez-le ; mais auparavant, assurez-vous bien de sa sincérité. Je serai au désespoir de vous savoir trompée, car je préfère votre bonheur au mien. Ma résolution peut vous étonner, mais ne l’attribuez qu’à la prudence d’un homme qui n’est pas assez niais pour vouloir posséder une femme malgré elle. Aussi est-ce moi et non vous que j’accuse de l’inutilité de mes efforts. J’ai espéré vous conquérir à force de soumission et de dévouement, car depuis longtemps, vous le savez, je cherche à vous rendre heureuse suivant mes principes ; mais vous n’avez voulu me récompenser de rien.

— Je vous ai souffert près de moi, dit-elle avec hauteur.

— Ajoutez que vous vous en repentez.