Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/264

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cheveux qu’il tenait, et y laissa pendre cette tête sanglante à laquelle il ne ferma seulement pas les yeux. Les deux Chouans se lavèrent les mains sans aucune précipitation, dans une grande terrine pleine d’eau, reprirent leurs chapeaux, leurs carabines, et franchirent l’échalier en sifflant l’air de la ballade du Capitaine. Pille-miche entonna d’une voix enrouée, au bout du champ, ces strophes prises au hasard dans cette naïve chanson dont les rustiques cadences furent emportées par le vent.

À la première ville,
Son amant l’habille
Tout en satin blanc ;

À la seconde ville,
Son amant l’habille
En or, en argent.

Elle était si belle
Qu’on lui tendait les voiles
Dans tout le régiment.

Cette mélodie devint insensiblement confuse à mesure que les deux Chouans s’éloignaient ; mais le silence de la campagne était si profond, que plusieurs notes parvinrent à l’oreille de Barbette, qui revenait alors au logis en tenant son petit gars par la main. Une paysanne n’entend jamais froidement ce chant, si populaire dans l’ouest de la France ; aussi Barbette commença-t-elle involontairement les premières strophes de la ballade.

Allons, partons, belle,
Partons pour la guerre,
Partons, il est temps.

Brave capitaine,
Que ça ne te fasse pas de peine,
Ma fille n’est pas pour toi.

Tu ne l’auras sur terre,
Tu ne l’auras sur mer,
Si ce n’est par trahison.

Le père prend sa fille
Qui la déshabille
Et la jette à l’eau.