Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/282

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pâles de quelques lumières qui brillaient çà et là dans les maisons de la ville ou des faubourgs, au-dessus et au-dessous du rempart. Le silence profond qui régnait n’était troublé que par le murmure du Nançon, par les coups lugubres et périodiques du beffroi, par les pas lourds des sentinelles, ou par le bruit des armes, quand on venait d’heure en heure relever les postes. Tout était devenu solennel, les hommes et la Nature.

— Il fait noir comme dans la gueule d’un loup, dit en ce moment Pille-miche.

— Va toujours, répondit Marche-à-terre, et ne parle pas plus qu’un chien mort.

— J’ose à peine respirer, répliqua le Chouan.

— Si celui qui vient de laisser rouler une pierre veut que son cœur serve de gaine à mon couteau, il n’a qu’à recommencer, dit Marche-à-terre d’une voix si basse qu’elle se confondait avec le frissonnement des eaux du Nançon.

— Mais c’est moi, dit Pille-miche.

— Eh ! bien, vieux sac à sous, reprit le chef, glisse sur ton ventre comme une anguille de haie, sinon nous allons laisser là nos carcasses plutôt qu’il ne le faudra.

— Hé ! Marche-à-terre, dit en continuant l’incorrigible Pille-miche, qui s’aida de ses mains pour se hisser sur le ventre et arriva sur la ligne où se trouvait son camarade à l’oreille duquel il parla d’une voix si étouffée que les Chouans par lesquels ils étaient suivis n’entendirent pas une syllabe. — Hé ! Marche-à-terre, s’il faut en croire notre Grande Garce, il doit y avoir un fier butin là-haut. Veux-tu faire part à nous deux ?

— Écoute, Pille-miche ! dit Marche-à-terre en s’arrêtant à plat ventre.

Toute la troupe imita ce mouvement, tant les Chouans étaient excédés par les difficultés que le précipice opposait à leur marche.

— Je te connais, reprit Marche-à-terre, pour être un de ces bons Jean-prend-tout, qui aiment autant donner des coups que d’en recevoir, quand il n’y a que cela à choisir. Nous ne venons pas ici pour chausser les souliers des morts, nous sommes diables contre diables, et malheur à ceux qui auront les griffes courtes. La Grande Garce nous envoie ici pour sauver le Gars. Il est là, tiens, lève ton nez de chien et regarde cette fenêtre, au-dessus de la tour ?