Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/349

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vous ennuie peut-être, dit Benassis à Genestas en surprenant son auditeur dans une attitude si pensive qu’elle devait être prise pour celle d’un homme inattentif.

— Oh ! non, dit le commandant.

— Monsieur, reprit le médecin, le commerce, l’industrie, l’agriculture et notre consommation n’étaient que locales. À un certain degré, notre prospérité se fût arrêtée. Je demandai bien un bureau de poste, un débit de tabac, de poudre et de cartes ; je forçai bien, par les agréments du séjour et de notre nouvelle société, le percepteur des contributions à quitter la commune de laquelle il avait jusqu’alors préféré l’habitation à celle du chef-lieu de canton ; j’appelai bien, en temps et lieu, chaque production quand j’avais éveillé le besoin ; je fis bien venir des ménages et des gens industrieux, je leur donnai bien à tous le sentiment de la propriété ; ainsi, à mesure qu’ils avaient de l’argent, les terres se défrichaient ; la petite culture, les petits propriétaires, envahissaient et mettaient graduellement en valeur la montagne. Les malheureux que j’avais trouvés ici portant à pied quelques fromages à Grenoble y allaient bien en charrette, menant des fruits, des œufs, des poulets, des dindons. Tous avaient insensiblement grandi. Le plus mal partagé était celui qui n’avait que son jardin, ses légumes, ses fruits, ses primeurs à cultiver. Enfin, signe de prospérité, personne ne cuisait plus son pain, afin de ne point perdre de temps, et les enfants gardaient les troupeaux. Mais, monsieur, il fallait faire durer ce foyer industriel en y jetant sans cesse des aliments nouveaux. Le bourg n’avait pas encore une renaissante industrie qui pût entretenir cette production commerciale et nécessiter de grandes transactions, un entrepôt, un marché. Il ne suffit pas à un pays de ne rien perdre sur la masse d’argent qu’il possède et qui forme son capital, vous n’augmenterez point son bien-être en faisant passer avec plus ou moins d’habileté, par le jeu de la production et de la consommation, cette somme dans le plus grand nombre possible de mains. Là n’est pas le problème. Quand un pays est en plein rapport, et que ses produits sont en équilibre avec sa consommation, il faut, pour créer de nouvelles fortunes et accroître la richesse publique, faire à l’extérieur des échanges qui puissent amener un constant actif dans sa balance commerciale. Cette pensée a toujours déterminé les États sans base territoriale, comme