Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/367

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— Je ne vais jamais positivement bien, répondit Benassis d’un ton moitié triste et moitié gai.

— Monsieur a-t-il bien dormi ? dit Jacquotte à Genestas.

— Parbleu ! la belle, vous aviez fait le lit comme pour une mariée.

Jacquotte suivit en souriant son maître et le militaire. Après les avoir vus attablés : — Il est bon enfant tout de même, monsieur l’officier, dit-elle à Nicolle.

— Je crois bien ! il m’a déjà donné quarante sous !

— Nous commencerons par aller visiter deux morts, dit Benassis à son hôte en sortant de la salle à manger. Quoique les médecins veuillent rarement se trouver face à face avec leurs prétendues victimes, je vous conduirai dans deux maisons où vous pourrez faire une observation assez curieuse sur la nature humaine. Vous y verrez deux tableaux qui vous prouveront combien les montagnards diffèrent des habitants de la plaine dans l’expression de leurs sentiments. La partie de notre canton située sur les pics conserve des coutumes empreintes d’une couleur antique, et qui rappellent vaguement les scènes de la Bible. Il existe, sur la chaîne de nos montagnes, une ligne tracée par la nature, à partir de laquelle tout change d’aspect : en haut la force, en bas l’adresse ; en haut des sentiments larges, en bas une perpétuelle entente des intérêts de la vie matérielle. À l’exception du val d’Ajou dont la côte septentrionale est peuplée d’imbéciles, et la méridionale de gens intelligents, deux populations qui, séparées seulement par un ruisseau, sont dissemblables en tout point, stature, démarche, physionomie, mœurs, occupations, je n’ai vu nulle part cette différence plus sensible qu’elle ne l’est ici. Ce fait obligerait les administrateurs d’un pays à de grandes études locales relativement à l’application des lois aux masses. Mais les chevaux sont prêts, allons !

Les deux cavaliers arrivèrent en peu de temps à une habitation située dans la partie du bourg qui regardait les montagnes de la Grande-Chartreuse. À la porte de cette maison, dont la tenue était assez propre, ils aperçurent un cercueil couvert d’un drap noir, posé sur deux chaises au milieu de quatre cierges, puis sur une escabelle un plateau de cuivre où trempait un rameau de buis dans de l’eau bénite. Chaque passant entrait dans la cour, venait s’agenouiller devant le corps, disait un Pater, et jetait quelques gouttes d’eau bénite sur la bière. Au-dessus du drap noir s’élevaient les