Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/422

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pauvre crétin et celui du père Pelletier se sont faits à des heures différentes.

— Nous allons maintenant pouvoir démolir les masures du vieux village, dit Benassis à son adjoint. Ce défrichis de maisons nous vaudra bien au moins un arpent de prairie ; et la Commune gagnera de plus les cent francs que nous coûtait l’entretien de Chautard le crétin.

— Nous devrions allouer pendant trois ans ces cent francs à la construction d’un pontceau sur le chemin d’en bas, à l’endroit du grand ruisseau, dit monsieur Cambon. Les gens du bourg et de la vallée ont pris l’habitude de traverser la pièce de Jean-François Pastoureau, et finiront par la gâter de manière à nuire beaucoup à ce pauvre bonhomme.

— Certes, dit le juge de paix, cet argent ne saurait avoir un meilleur emploi. À mon avis, l’abus des sentiers est une des grandes plaies de la campagne. Le dixième des procès portés devant les tribunaux de paix a pour cause d’injustes servitudes. L’on attente ainsi, presque impunément, au droit de propriété dans une foule de communes. Le respect des propriétés et le respect de la loi sont deux sentiments trop souvent méconnus en France, et qu’il est bien nécessaire d’y propager. Il semble déshonorant à beaucoup de gens de prêter assistance aux lois, et le : Va te faire pendre ailleurs ! phrase proverbiale qui semble dictée par un sentiment de générosité louable, n’est au fond qu’une formule hypocrite qui sert à gazer notre égoïsme. Avouons-le ?… nous manquons de patriotisme. Le véritable patriote est le citoyen assez pénétré de l’importance des lois pour les faire exécuter, même à ses risques et périls. Laisser aller en paix un malfaiteur, n’est-ce pas se rendre coupable de ses crimes futurs ?

— Tout se tient, dit Benassis. Si les maires entretenaient bien leurs chemins il n’y aurait pas tant de sentiers. Puis, si les conseillers municipaux étaient plus instruits, ils soutiendraient le propriétaire et le maire, quand ceux-ci s’opposent à l’établissement d’une injuste servitude ; tous feraient comprendre aux gens ignorants que le château, le champ, la chaumière, l’arbre, sont également sacrés, et que le Droit ne s’augmente ni ne s’affaiblit par les différentes valeurs des propriétés. Mais de telles améliorations ne sauraient s’obtenir promptement, elles tiennent principalement au moral des populations que nous ne pouvons complétement réfor-