Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/482

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de ma jeunesse, envenima mes fautes, insista sur l’existence de mon enfant, que, disait-il, j’avais à dessein cachée. Lorsque j’écrivis à mes futurs parents, je ne reçus pas de réponse ; ils revinrent à Paris, je me présentai chez eux, je ne fus pas reçu. Alarmé, j’envoyai mon vieil ami savoir la raison d’une conduite à laquelle je ne comprenais rien. Lorsqu’il en apprit la cause, le bon vieillard se dévoua noblement, il assuma sur lui la forfaiture de mon silence, voulut me justifier et ne put rien obtenir. Les raisons d’intérêt et de morale étaient trop graves pour cette famille, ses préjugés étaient trop arrêtés, pour la faire changer de résolution. Mon désespoir fut sans bornes. D’abord je tâchai de conjurer l’orage ; mais mes lettres me furent renvoyées sans avoir été ouvertes. Lorsque tous les moyens humains furent épuisés ; quand le père et la mère eurent dit au vieillard, auteur de mon infortune, qu’ils refuseraient éternellement d’unir leur fille à un homme qui avait à se reprocher la mort d’une femme et la vie d’un enfant naturel, même quand Évelina les implorerait à genoux, alors, monsieur, il ne me resta plus qu’un dernier espoir, faible comme la branche de saule à laquelle s’attache un malheureux quand il se noie. J’osai croire que l’amour d’Évelina serait plus fort que les résolutions paternelles, et qu’elle saurait vaincre l’inflexibilité de ses parents ; son père pouvait lui avoir caché les motifs du refus qui tuait notre amour, je voulus qu’elle décidât de mon sort en connaissance de cause, je lui écrivis. Hélas ! monsieur, dans les larmes et la douleur, je traçai, non sans de cruelles hésitations, la seule lettre d’amour que j’aie jamais faite. Je ne sais plus que vaguement aujourd’hui ce que me dicta le désespoir ; sans doute, je disais à mon Évelina que, si elle avait été sincère et vraie, elle ne pouvait, elle ne devait jamais aimer que moi ; sa vie n’était-elle pas manquée, n’était-elle pas condamnée à mentir à son futur époux ou à moi ? ne trahissait-elle pas les vertus de la femme, en refusant à son amant méconnu le même dévouement qu’elle aurait déployé pour lui, si le mariage accompli dans nos cœurs se fût célébré ? et quelle femme n’aimerait à se trouver plus liée par les promesses du cœur que par les chaînes de la loi ? Je justifiai mes fautes en invoquant toutes les puretés de l’innocence, sans rien oublier de ce qui pouvait attendrir une âme noble et généreuse. Mais, puisque je vous avoue tout, je vais vous aller chercher sa réponse et ma dernière lettre, dit Benassis en sortant pour monter à sa chambre !