Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/500

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parmi les chrétiens, m’avez fait comprendre qu’il y avait quelque chose là-haut ! Et il montra le ciel.

Le médecin répondit par un sourire plein de mélancolie, et serra très-affectueusement la main que Genestas lui tendait.

Le lendemain, avant le jour, le commandant Genestas partit pour la ville, et vers le milieu de la journée, il se trouvait sur la grande route de Grenoble au bourg, à la hauteur du sentier qui menait chez la Fosseuse. Il était dans un de ces chars découverts et à quatre roues, menés par un seul cheval, voiture légère qui se rencontre sur toutes les routes de ces pays montagneux. Genestas avait pour compagnon un jeune homme maigre et chétif, qui paraissait n’avoir que douze ans, quoiqu’il entrât dans sa seizième année. Avant de descendre, l’officier regarda dans plusieurs directions afin de trouver dans la campagne un paysan qui se chargeât de ramener la voiture chez Benassis, car l’étroitesse du sentier ne permettait pas de la conduire jusqu’à la maison de la Fosseuse. Le garde-champêtre déboucha par hasard sur la route et tira de peine Genestas, qui put, avec son fils adoptif, gagner à pied le lieu du rendez-vous, à travers les sentiers de la montagne.

— Ne serez-vous pas heureux, Adrien, de courir dans ce beau pays pendant une année, d’apprendre à chasser, à monter à cheval, au lieu de pâlir sur vos livres ? Tenez, voyez !

Adrien jeta sur la vallée le regard pâle d’un enfant malade ; mais, indifférent comme le sont tous les jeunes gens aux beautés de la nature, il dit sans cesser de marcher : — Vous êtes bien bon, mon père.

Genestas eut le cœur froissé par cette insouciance maladive, et atteignit la maison de la Fosseuse sans avoir adressé la parole à son fils.

— Commandant, vous êtes exact, s’écria Benassis en se levant du banc de bois sur lequel il était assis.

Mais il reprit aussitôt sa place, et demeura tout pensif en voyant Adrien ; il en étudia lentement la figure jaune et fatiguée, non sans admirer les belles lignes ovales qui prédominaient dans cette noble physionomie. L’enfant, le vivant portrait de sa mère, tenait d’elle un teint olivâtre et de beaux yeux noirs, spirituellement mélancoliques. Tous les caractères de la beauté juive polonaise se trouvaient dans cette tête chevelue, trop forte pour le corps frêle auquel elle appartenait.