Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/535

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cond commis. Deux commis et un garçon de caisse lui suffisaient pour faire des affaires, immenses par la multiplicité des détails. Un commis expédiait la correspondance, un autre tenait la caisse. Pierre Graslin était, pour le surplus, l’âme et le corps. Ses commis, pris dans sa famille, étaient des hommes sûrs, intelligents, façonnés au travail comme lui-même. Quant au garçon de caisse, il menait la vie d’un cheval de camion. Levé dès cinq heures en tous temps, ne se couchant jamais avant onze heures, Graslin avait une femme à la journée, une vieille Auvergnate qui faisait la cuisine. La vaisselle de terre brune, le bon gros linge de maison étaient en harmonie avec le train de cette maison. L’Auvergnate avait ordre de ne jamais dépasser la somme de trois francs pour la totalité de la dépense journalière du ménage. Le garçon de peine servait de domestique. Les commis faisaient eux-mêmes leur chambre. Les tables en bois noirci, les chaises dépaillées, les casiers, les mauvais bois de lit, tout le mobilier qui garnissait le comptoir et les trois chambres situées au-dessus, ne valaient pas mille francs, y compris une caisse colossale, toute en fer, scellée dans les murs, léguée par ses prédécesseurs, et devant laquelle couchait le garçon de peine, avec deux chiens à ses pieds. Graslin ne hantait pas le monde où il était si souvent question de lui. Deux ou trois fois par an, il dînait chez le Receveur-général, avec lequel ses affaires le mettaient en relations suivies. Il mangeait encore quelquefois à la Préfecture ; il avait été nommé membre du Conseil-général du Département, à son grand regret. « — Il perdait là son temps, » disait-il. Parfois ses confrères, quand il concluait avec eux des marchés, le gardaient à déjeuner ou à dîner. Enfin il était forcé d’aller chez ses anciens patrons qui passaient les hivers à Limoges. Il tenait si peu aux relations de société, qu’en vingt-cinq ans, Graslin n’avait pas offert un verre d’eau à qui que ce soit. Quand Graslin passait dans la rue, chacun se le montrait, en se disant : « Voilà monsieur Graslin ! » C’est-à-dire voilà un homme venu sans le sou à Limoges et qui s’est acquis une fortune immense ! Le banquier auvergnat était un modèle que plus d’un père proposait à son enfant, une épigramme que plus d’une femme jetait à la face de son mari. Chacun peut concevoir par quelles idées un homme devenu le pivot de toute la machine financière du Limousin, fut amené à repousser les diverses propositions de mariage qu’on ne se lassait pas de lui faire. Les filles de messieurs Perret et