Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/610

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— Comment ne meurt-on pas de cela ? dit Denise à sa mère en atteignant au guichet.

Il était environ huit heures du soir quand cette séparation eut lieu. À la porte de la prison, les deux femmes trouvèrent l’abbé de Rastignac, qui leur demanda des nouvelles du prisonnier.

— Il se réconciliera sans doute avec Dieu, dit Denise. Si le repentir n’est pas encore venu, il est bien proche.

L’Évêque apprit alors quelques instants après que le clergé triompherait en cette occasion, et que le condamné marcherait au supplice dans les sentiments religieux les plus édifiants. L’Évêque, auprès de qui se trouvait le Procureur-général, manifesta le désir de voir le curé. Monsieur Bonnet ne vint pas à l’Évêché avant minuit. L’abbé Gabriel, qui faisait souvent le voyage de l’évêché à la geôle, jugea nécessaire de prendre le curé dans la voiture de l’Évêque ; car le pauvre prêtre était dans un état d’abattement qui ne lui permettait pas de se servir de ses jambes. La perspective de sa rude journée le lendemain et les combats secrets dont il avait été témoin, le spectacle du complet repentir qui avait enfin foudroyé son ouaille longtemps rebelle quand le grand calcul de l’éternité lui fut démontré, tout s’était réuni pour briser monsieur Bonnet, dont la nature nerveuse, électrique se mettait facilement à l’unisson des malheurs d’autrui. Les âmes qui ressemblent à cette belle âme épousent si vivement les impressions, les misères, les passions, les souffrances de ceux auxquels elles s’intéressent, qu’elles les ressentent en effet, mais d’une manière horrible, en ce qu’elles peuvent en mesurer l’étendue qui échappe aux gens aveuglés par l’intérêt du cœur ou par le paroxysme des douleurs. Sous ce rapport, un prêtre comme monsieur Bonnet est un artiste qui sent, au lieu d’être un artiste qui juge. Quand le curé se trouva dans le salon de l’Évêque, entre les deux Grands-vicaires, l’abbé de Rastignac, monsieur de Grandville et le Procureur-général, il crut entrevoir qu’on attendait quelque nouvelle chose de lui.

— Monsieur le curé, dit l’Évêque, avez-vous obtenu quelques aveux que vous puissiez confier à la Justice pour l’éclairer, sans manquer à vos devoirs ?

— Monseigneur, pour donner l’absolution à ce pauvre enfant égaré, je n’ai pas seulement attendu que son repentir fût aussi sincère et aussi entier que l’Église puisse le désirer, j’ai encore exigé que la restitution de l’argent eût lieu.