Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/62

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Hulot fit la grimace, haussa les épaules et répondit : — Avant de prendre le potage, je lui conseille de le sentir.

— Brave Merle, reprit Gérard en jugeant à la lenteur de sa marche qu’il manœuvrait pour se laisser graduellement gagner par la malle, est-il gai ! C’est le seul homme qui puisse rire de la mort d’un camarade sans être taxé d’insensibilité.

— C’est le vrai soldat français, dit Hulot d’un ton grave.

— Oh ! le voici qui ramène ses épaulettes sur son épaule pour faire voir qu’il est capitaine, s’écria Gérard en riant, comme si le grade y faisait quelque chose.

La voiture vers laquelle pivotait l’officier renfermait en effet deux femmes, dont l’une semblait être la servante de l’autre.

— Ces femmes-là vont toujours deux par deux, disait Hulot.

Un petit homme sec et maigre caracolait, tantôt en avant, tantôt en arrière de la voiture ; mais quoiqu’il parût accompagner les deux voyageuses privilégiées, personne ne l’avait encore vu leur adressant la parole. Ce silence, preuve de dédain ou de respect, les bagages nombreux, et les cartons de celle que le commandant appelait une princesse, tout, jusqu’au costume de son cavalier servant, avait encore irrité la bile de Hulot. Le costume de cet inconnu présentait un exact tableau de la mode qui valut en ce temps les caricatures des Incroyables. Qu’on se figure ce personnage affublé d’un habit dont les basques étaient si courtes, qu’elles laissaient passer cinq à six pouces du gilet, et les pans si longs quels ressemblaient à une queue de morue, terme alors employé pour les désigner. Une cravate énorme décrivait autour de son cou de si nombreux contours, que la petite tête qui sortait de ce labyrinthe de mousseline justifiait presque la comparaison gastronomique du capitaine Merle. L’inconnu portait un pantalon collant et des bottes à la Souwaroff. Un immense camée blanc et bleu servait d’épingle à sa chemise. Deux chaînes de montre s’échappaient parallèlement de sa ceinture ; puis ses cheveux, pendant en tire-bouchons de chaque côté des faces lui couvraient presque tout le front. Enfin, pour dernier enjolivement, le col de sa chemise et celui de l’habit montaient si haut, que sa tête paraissait enveloppée comme un bouquet dans un cornet de papier. Ajoutez à ces grêles accessoires qui juraient entre eux sans produire d’ensemble, l’opposition burlesque des couleurs du pantalon jaune, du gilet rouge, de l’habit cannelle, et l’on aura une image fidèle du suprême bon ton auquel