Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/652

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suivre à Véronique un sentier rapide qui menait à l’endroit où les deux côtes se resserraient et s’en allaient l’une à l’est, l’autre à l’ouest, comme renvoyées par un choc. Ce goulet, rempli de grosses pierres entre lesquelles s’élevaient de hautes herbes, avait environ soixante pieds de largeur. La Roche-Vive, coupée à vif, montrait comme une muraille de granit sur laquelle il n’y avait pas le moindre gravier, mais le haut de ce mur inflexible était couronné d’arbres dont les racines pendaient. Des pins y embrassaient le sol de leurs pieds fourchus et semblaient se tenir là comme des oiseaux accrochés à une branche. La colline opposée, creusée par le temps, avait un front sourcilleux, sablonneux et jaune ; elle montrait des cavernes peu profondes, des enfoncements sans fermeté ; sa roche molle et pulvérulente offrait des tons d’ocre. Quelques plantes à feuilles piquantes, au bas quelques bardanes, des joncs, des plantes aquatiques indiquaient et l’exposition au nord et la maigreur du sol. Le lit du torrent était en pierre assez dure, mais jaunâtre. Évidemment les deux chaînes, quoique parallèles et comme fendues au moment de la catastrophe qui a changé le globe, étaient, par un caprice inexplicable ou par une raison inconnue et dont la découverte appartient au génie, composées d’éléments entièrement dissemblables. Le contraste de leurs deux natures éclatait surtout en cet endroit. De là, Véronique aperçut un immense plateau sec, sans aucune végétation, crayeux ; ce qui expliquait l’absorption des eaux, et parsemé de flaques d’eau saumâtre ou de places où le sol était écaillé. À droite, se voyaient les monts de la Corrèze. À gauche, la vue s’arrêtait sur la bosse immense de la Roche-Vive, chargée des plus beaux arbres, et au bas de laquelle s’étalait une prairie d’environ deux cents arpents dont la végétation contrastait avec le hideux aspect de ce plateau désolé.

— Mon fils et moi nous avons fait le fossé que vous apercevez là-bas, dit Farrabesche, et que vous indiquent de hautes herbes, il va rejoindre celui qui limite votre forêt. De ce côté, vos domaines sont bornés par un désert, car le premier village est à une lieue d’ici.

Véronique s’élança vivement dans cette horrible plaine où elle fut suivie par son garde. Elle fit sauter le fossé à son cheval, courut à bride abattue dans ce sinistre paysage, et parut prendre un sauvage plaisir à contempler cette vaste image de la désolation.