Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

oiseau, car elle craignit l’aspect et l’odeur de cette cuisine, autant que la curiosité d’un chef malpropre et d’une petite femme grasse qui déjà l’examinaient avec attention.

— Comment allons-nous faire, ma femme ? dit l’hôte. Qui diable pouvait croire que nous aurions tant de monde par le temps qui court ? Avant que je puisse lui servir un déjeuner convenable, cette femme-là va s’impatienter. Ma foi, il me vient une bonne idée : puisque c’est des gens comme il faut, je vais leur proposer de se réunir à la personne que nous avons là-haut. Hein ?

Quand l’hôte chercha la nouvelle arrivée, il ne vit plus que Francine, à laquelle il dit à voix basse en l’emmenant au fond de la cuisine du côté de la cour pour l’éloigner de ceux qui pouvaient l’écouter : — Si ces dames désirent se faire servir à part, comme je n’en doute point, j’ai un repas très délicat tout préparé pour une dame et pour son fils. Ces voyageurs ne s’opposeront sans doute pas à partager leur déjeuner avec vous, ajouta-t-il d’un air mystérieux. C’est des personnes de condition.

À peine avait-il achevé sa dernière phrase, que l’hôte se sentit appliquer dans le dos un léger coup de manche de fouet, il se retourna brusquement, et vit derrière lui un petit homme trapu, sorti sans bruit d’un cabinet voisin, et dont l’apparition avait glacé de terreur la grosse femme, le chef et son marmiton. L’hôte pâlit en retournant la tête. Le petit homme secoua ses cheveux qui lui cachaient entièrement le front et les yeux, se dressa sur ses pieds pour atteindre à l’oreille de l’hôte, et lui dit : — Vous savez ce que vaut une imprudence, une dénonciation, et de quelle couleur est la monnaie avec laquelle nous les payons. Nous sommes généreux.

Il joignit à ses paroles un geste qui en fut un épouvantable commentaire. Quoique la vue de ce personnage fût dérobée à Francine par la rotondité de l’hôte, elle saisit quelques mots des phrases qu’il avait sourdement prononcées, et resta comme frappée par la foudre en entendant les sons rauques d’une voix bretonne. Au milieu de la terreur générale, elle s’élança vers le petit homme ; mais celui-ci, qui semblait se mouvoir avec l’agilité d’un animal sauvage, sortait déjà par une porte latérale donnant sur la cour. Francine crut s’être trompée dans ses conjectures, car elle n’aperçut que la peau fauve et noire d’un ours de moyenne taille. Étonnée, elle courut à la fenêtre. À travers les vitres jaunies par la fumée,